LE LIVRE DES QUESTIONS, Edmond Jabès Fiche de lecture
Premier des sept volumes qui formeront le cycle complet du Livre des questions (1963-1973), cet ouvrage est né de toute l'expérience passée d'Edmond Jabès : ses livres de poésie – Jabès en reprend l'essentiel en 1959 sous le titre emblématique Je bâtis ma demeure – la traversée de la guerre, la Shoah, sa « sortie d'Égypte », lorsqu'il lui fallut quitter son pays natal en 1957 pour s'installer à Paris, ou encore la mort de sa sœur, dans ses bras, quand il avait douze ans. Le Livre des questions est donc le livre de l'exil. Il est aussi le livre de la mémoire, où viennent se confronter l'histoire et le destin de Jabès et ceux du peuple juif.
L'ensemble des sept volumes compose un cycle ouvert. Chaque livre engendre le suivant, qui en développe les manques et en remplit les marges. Au Livre des questions (1963) succèdent donc Le Livre de Yukel (1964) puis Le Retour au livre (1965). Viendront ensuite Yaël (1967), Elya (1969) et Aëly (1972) ; trois personnages pour incarner une même idée de la création que sublimera El, ou le Dernier Livre (1973), ouvrant le livre à l'infini...
Le livre dispersé
« Tu es celui qui écrit et qui est écrit » : l'exergue du premier volume résume un tel dessein, en inscrivant d'emblée une expérience de la littérature au sein d'une aventure humaine.
Le « seuil du livre » s'ouvre sur un dialogue qui, à lui seul, semble justifier le titre de l'ouvrage. Cet échange présente tous les acteurs du récit : l'écrivain, les personnages qui en illustreront l'histoire, des rabbins, « prêts à affronter le livre », « l'homme qui est lien et lieu écrits ». Et chacun interroge l'autre : « Quel est ton destin ?... Es-tu dans le livre ?... Quelle est ton histoire ?... Quelle est ta vérité ?... et ton salut ?... ». Chaque question en appelle d'autres et esquisse ainsi une des voies possibles de la recherche, conduisant à une mise en question de l'homme par l'écrivain qu'il est au fond de lui-même.
Toutefois le sens profond du livre tient au récit qu'il porte, et qui évoque l'histoire de deux amants, deux adolescents juifs qui ont connu les camps nazis. Sarah survit ; on la dit folle, sa vie ne tient, de fait, qu'à peu de choses. « Je n'entends pas le cri, je suis le cri », dit-elle. Yukel l'entend et semble lui répondre. Mais, figure aux multiples visages, il reste insaisissable. Confident de l'écrivain, dans sa possible quête, il est d'abord un survivant, le revenant des camps de la mort, témoin et victime désignée de l'histoire. Il répond d'un passé que le mot seul ne peut ni contenir ni dire, mais qu'il laisse transparaître ; il répond aussi bien d'un avenir qui peut et doit encore s'écrire. De fait, le destin des amants oriente toute l'aventure du livre.
Le récit est ponctué par les propos de multiples rabbins (Reb Bar, Reb Naam, Reb Sayod...). Ce sont, précise l'auteur, autant d'interprètes du livre. Ces « faux » rabbins, aux paroles inventées, mais bien réels dans leur chair d'écriture, ressemblent, dans leur diversité, au juif qui s'est trouvé dans l'écrivain qui se cherche, lui qui voit en eux « les phares de [sa] mémoire ».
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Écrit par
- Didier CAHEN
: écrivain, directeur de la
Vie étudiante
Classification
Média
Autres références
-
LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE
- Écrit par Dominique RABATÉ
- 7 278 mots
- 13 médias
... method ». Le philosophe Jacques Derrida (1930-2004), qui livre d’éblouissantes lectures d’Artaud, Mallarmé ou Baudelaire, donne rapidement au Livre des questions (1963-1973) d’Edmond Jabès (1912-1991) une résonance qui s’imprime fortement sur le reste de l’œuvre du poète franco-égyptien. Toute...