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LE LYS DANS LA VALLÉE, Honoré de Balzac Fiche de lecture

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« Une saison de combats »

Si Le Lys dans la vallée occupe une place particulière dans l’œuvre de Balzac, c’est, en premier lieu, par son caractère largement autobiographique. Le décor tourangeau, le manque d’amour maternel, la rivalité d’un frère qui lui est préféré, la solitude d’une enfance en pension, la rencontre décisive d’une femme plus âgée, mariée et mère de famille (Laure de Berny), à la fois initiatrice et protectrice, sont autant de points communs entre l’auteur et son personnage. C’est aussi que le roman – auquel le titre, extrait du Cantique des cantiques(« Je suis un lys de la vallée »), confère d’emblée une tonalité à la fois lyrique et mystique – est l’un des plus intimistes qu’ait écrit Balzac. L’évocation de paysages chéris depuis l’enfance donne lieu à une prose poétique qui n’est pas si fréquente dans La Comédie humaine.Cette nature magnifiée reste indissociable de la relation amoureuse qui est au cœur du roman : peinte comme un véritable éden, la vallée de l’Indre, avec ses formes douces et harmonieuses, fait littéralement corps avec celui de l’être aimé, entraperçu lors de la scène du bal. À ce titre, elle s’inscrit aussi dans une géographie symbolique qui oppose cette campagne « belle et vierge comme une fiancée » à la ville – et singulièrement Paris –, lieu de toutes les dépravations, incarnée par la cynique Arabelle Dudley.

Quoique relativement tardive dans le récit, la rencontre avec cette dernière marque un véritable basculement. Jusque-là, au cours des deux premiers chapitres (« Les deux enfances » et « Les premières amours »), l’histoire était celle d’une liaison empêchée entre un jeune homme mû à la fois par une « virilité [qui] poussait tardivement ses rameaux verts » et par la quête d’un substitut maternel, et une mère de famille insatisfaite, mais résolue à demeurer fidèle. Cette contradiction trouvait une apparence de résolution dans un double mouvement de sacrifice et de dépassement, le renoncement grandissant chacun des protagonistes, unis dans un amour spirituel tenu pour bien supérieur à l’amour charnel. Épouse victime, comme tant d’autres héroïnes balzaciennes, d’un mariage malheureux et d’un mari tyrannique, mère aimante mais inquiète de la santé fragile de ses enfants, Henriette trouvait en Félix l’amour filial d’un enfant en même temps que la dévotion d’un chevalier servant. Félix, de son côté, paraissait se satisfaire – quoique plus difficilement – d’une relation sublimée. L’épreuve de la séparation elle-même était adoucie par l’échange épistolaire qui maintenait intact le lien tout en le protégeant des tentations.

La rencontre avec la sensuelle Arabelle Dudley bouleverse cet ordre précaire. Elle vient évidemment ébranler les résolutions du jeune homme. Elle va surtout libérer des pulsions refoulées chez Henriette, en premier lieu sous la forme d’une irrépressible jalousie. Mais c’est lors de son agonie, lorsque le corps, nié, semble vouloir s’affranchir et reprendre tous ses droits, et plus encore dans sa lettre testament où elle avoue ses faiblesses, ses doutes et même ses regrets, que se révèle toute la violence du combat intérieur qu’il lui aura fallu mener durant ces six années, entre les exigences de la chair et l’aspiration à la pureté. Ce surgissement brutal d’une sensualité toujours présente, mais réprimée éclaire tout le récit précédent d’un jour nouveau : à l’évidence, aux yeux de Balzac, il humanise la « sainte », vertueuse non par tempérament mais par volonté, et en fait une héroïne romanesque à part entière.

— Guy BELZANE

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  • BALZAC HONORÉ DE (1799-1850)

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    ...d'Esgrignon à Alençon. Les brouillards, le givre et les nuages des Chouans ne sont pas décoratifs, mais symboliques et fonctionnels. Toute l'histoire du Lys dans la vallée se mire dans les eaux qui baignent le roman, selon l'heure bénéfiques ou maléfiques. L'espace de la Grand-Rue de Nemours n'est pas...