LE MAÎTRE DE FLÉMALLE et ROGIER VAN DER WEYDEN (expositions)
L'organisation, la même année, de deux expositions majeures consacrées à l'art des primitifs flamands, l'une Le Maître de Flémalle et Rogier Van der Weyden au Städel Museum de Francfort (21 novembre 2008-22 février 2009) reprise par la suite à la Gemäldegalerie de Berlin (20 mars-21 juin 2009), l'autre Rogier Van der Weyden 1400-1464. Maître des Passions au musée M de Leuven [Louvain] (20 septembre-6 décembre 2009) a été l'occasion d'immenses bonheurs pour les amateurs d'art, en permettant la réunion d'œuvres de tout premier plan. Ces manifestations ont aussi permis des avancées significatives de la recherche. L'apport respectif de ces deux peintres à l'ars nova au nord des Alpes – un intense naturalisme sensible de panneaux tirant tous les effets possibles de transparence de la peinture à l'huile –, mais aussi la question très délicate de leurs relations et de l'attribution de retables et de portraits rarement signés, demeurent des questions centrales pour l'art du xve siècle. Permettre de voir côte à côte, dans la même salle et sous la même lumière, des œuvres habituellement dispersées dans des institutions du monde entier, a donc constitué une opportunité unique. L'histoire de l'art est un champ de recherche ancré dans les sciences historiques, ce qui inclut le patient déchiffrement des archives, mais elle est d'abord une discipline du regard. À l'heure où les technologies permettent aussi bien la diffusion massive d'images numérisées que le jeu d'agrandissements spectaculaires, les musées ont le devoir de montrer que ces outils certes utiles ne remplacent en rien la confrontation à une œuvre perçue dans sa matérialité, ses dimensions réelles, son rayonnement propre. L'œuvre d'art ne saurait vivre d'un monde virtuel.
À Francfort puis à Berlin, l'exposition présentait des panneaux peints, et le dossier réuni à cette occasion a permis de rappeler que ni l'identification désormais à peu près admise du Maître de Flémalle au peintre Robert Campin de Tournai (actif jusque vers 1440), ni la séparation nette entre son œuvre et celle de Rogier van der Weyden (mort en 1464) n'étaient pourtant à considérer comme des acquis indiscutables. Le débat, majeur, est bien trop complexe pour que l'on puisse le développer ici. Par contre, il faut signaler à quel point le rassemblement de ces œuvres éclaire l'accord profond qu'elles réalisent entre une représentation méticuleuse des apparences du monde sensible et l'expression d'un mystère qui renvoie à l'invisible. Chez le Maître de Flémalle, la Nativité (vers 1420-1425) du musée des Beaux-Arts de Dijon magnifie les formes et les objets du quotidien, des poutres et du torchis en partie ruiné de l'étable à la bougie dont Joseph couvre la flamme de sa main, et au paysage baigné par la lumière douce du soleil en partie caché par les montagnes de l'arrière-plan. La lecture des Révélations de sainte Brigitte de Suède confirme que bien des détails participent d'un « symbolisme déguisé », de la sage-femme dont la main est desséchée parce qu'elle n'a pas voulu croire en la virginité de la mère, à la chandelle qui, à l'image du soleil, est littéralement éclipsée par le rayonnement de l'Enfant Jésus. Même si la Descente de Croix (vers 1435) du musée du Prado à Madrid et le Retable du Jugement dernier (vers 1445-1450) du musée de l'Hôtel-Dieu de Beaune, trop grands et précieux, n'avaient pu être déplacés, Rogier van der Weyden était servi par un ensemble éblouissant. Dans le Retable de Miraflores (vers 1445, Gemäldegalerie, Berlin), commandé pour cette chartreuse par le roi Jean II de Castille, l'Adoration de l'Enfant par la Vierge, la Déploration, et l'Apparition du Christ à sa[...]
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Écrit par
- Christian HECK : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille
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