LE MAÎTRE DE MARIONNETTES, film de Hou Hsiao-hsien
Une histoire elliptique
Après deux ans et demi de préparation dont quatre mois et demi de tournage avec des acteurs non professionnels, un budget de 2,5 millions de dollars, Hou Hsiao-hsien achève ce film en grande partie tourné en Chine populaire dans la région du Fukien. La Chine traditionnelle, aujourd'hui disparue à Taïwan, est reconstituée au sein de paysages naturels chinois. Les scènes de la vie domestique sont cadrées de manière intimiste et entrecoupées de plans larges sur de somptueux paysages, en extérieur.
La présence du maître de marionnettes permet au réalisateur de déchiffrer les crises de la modernité : la transmission entre générations, les rapports entre mémoire et histoire, les relations entre histoire individuelle et histoire collective, la quête de l'identité chinoise aujourd'hui. À mi-chemin entre documentaire et fiction, le recours aux marionnettes sert de fil conducteur.
Le film progresse par plans souvent fixes sans jamais forcer le ton (98 plans fixes autour de deux mouvements de caméra). Hou Hsiao-hsien joue sur cet étirement du temps. Le caractère discontinu du récit (enfance, adolescence, âge adulte) mêlant de manière centrale le dispositif scénique des marionnettes, contribue à procurer au film une allure complexe. Un travail exceptionnel sur l'opposition clair/obscur, matérialisant les souvenirs parcellaires du marionnettiste, semble ouvrir la réflexion sur le temps et l'espace. L'attention du spectateur est souvent finement captée à l'arrière-plan de la scène par la composition subtile d'un objet au premier plan. Inspiré d'une tradition picturale taïwanaise (Chen Cheng-po, 1895-1947), le film ouvre une série d'espaces vides à partir desquels pourra se déployer la charge émotionnelle des sujets dans la pénombre. Ce film pose fondamentalement la question des frontières entre le théâtre et le cinéma, la vie réelle et sa mise en scène.
Construit sur le modèle d'un théâtre miniaturisé, le film déroule avec lenteur ses tableaux. L'image sert un témoignage souvent plus affectif qu'historique. La voix du maître, patriarche témoin d'une Chine révolue, reconstitue en contrepoint un univers nostalgique, principalement ancré dans les années 1930, époque où il commence sa carrière, mais le récit revient aussi constamment au présent.
Fiction d'une Chine plus secrète et mentale, Le Maître de marionnettes apparaît comme un plaidoyer pour la création artistique et la tradition chinoise confrontées aux aléas de la modernité. En Chine continentale, Chen Kaige partagera cette thématique avec Adieu ma concubine (Ba wang bie ji, 1993). Au-delà des divisions politiques actuelles, ces deux réalisateurs défendent un cinéma d'auteur menacé par le cinéma commercial chinois.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification