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LE MAL N'EXISTE PAS (R. Hamaguchi)

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Un conte écologique

Le mal n’existe pas s’ouvre par de longs plans où la caméra glisse dans les bois, parmi des branches nues et squelettiques. Séquence serpentine portée par les cordes d’Eiko Ishibashi. Et voici la fillette qui se détache du paysage hivernal. L’ouverture de Ryūsuke Hamaguchi réunit d’emblée les dimensions principales de son œuvre : le conte et l’écologie.

Tout le film sera scandé d’images presque magiques − reflets de rivières, animaux, chants d’oiseaux, bruissement de vent… et le silence surtout. Jusqu’à ce que ce monde superbe et glacé doive se confronter à un autre type de froideur. L’entreprise tokyoïte pratique les réunions par zoom, jongle avec les slideshows et manie le vocabulaire corporate de l’économie mondialisée. C’est une société en constant mouvement où l’on dialogue depuis sa voiture, dans des déplacements incessants et vains.

Face à ces va-et-vient, la montagne n’obéit qu’au rythme paisible de la nature, du soleil qui se lève et se couche, de l’eau qui se fige dans le gel ou s’évapore en nuage, dans une transformation sans fin. Et c’est précisément cette source que viendra souiller le glamping qui doit être installé en amont du village. L’eau, le bien le plus précieux des habitants, ne peut s’écouler que dans un sens. De même, ce qui est détruit ne peut être réparé. Deux visions s’affrontent tout au long du film : le court terme de l’activité saisonnière du tourisme et la durabilité du lourd et lent cycle continu des saisons.

Cette dichotomie accompagne ou suit la musique obsédante d’Ishibashi, entre harmonie et disharmonie. La confrontation de ces deux conceptions du temps et de l’espace culmine dans une fascinante séquence de réunion, dans la salle des fêtes du village, véritable film dans le film. Hamaguchi orchestre là un duel dialogué entre villageois et représentants de l’entreprise, où chacun expose des points de vue irréconciliables. Ce moment de cinéma, plus que le point culminant d’une fiction, englobe l’époque où il s’inscrit, avec ses contradictions, ses divisions et surtout cette rage qui vibre sans cesse entre les mots et les regards échangés.

L’inquiétude atteint son acmé dans une autre scène, un plan-séquence où Takumi enseigne au jeune cadre la façon de fendre une bûche. Le savoir-faire de l’un, la maladresse de l’autre et le tranchant de la lame font de chaque coup de hache un pas de plus vers le sang qui ne tardera pas à perler et la sauvagerie qui n’attend que de jaillir.

Et pourtant, « le mal n’existe pas ». C’est là toute la richesse et l’énigme de ce film. Dans un premier temps, il est bien là sous nos yeux : les investisseurs, des pollueurs avides d’argent sont du côté du mal. Mais Hamaguchi retourne astucieusement les points de vue et les deux émissaires de l’entreprise nous deviennent soudain plus humains et plus fragiles. D’où un dénouement qui laisse le spectateur abasourdi : on ne saura rien du projet de glamping, ni même de ce qui advient de Hana. Plus rien n’a d’importance, les enjeux sont ailleurs et le film se brise comme une vague, s’engouffrant dans un abîme de questionnements qui poursuivra ses spectateurs encore longtemps. Si « le mal n’existe pas », pourquoi la violence est-elle partout ?

— Adrien GOMBEAUD

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