LE MALAISE DANS LA CULTURE, Sigmund Freud Fiche de lecture
Intitulé Malaise dans la civilisation lors de sa première traduction française en 1934, cet ouvrage fut longtemps considéré comme appartenant à cette catégorie des œuvres freudiennes que l'on qualifiait d'anthropologiques non sans quelque mépris. Jacques Lacan, dans une perspective théorique, Peter Gay, sous un angle historique et biographique, ont contribué à redonner sa place essentielle à ce livre, celle d'une réflexion sur le tragique de la condition humaine, inséparable de ces autres travaux freudiens que sont L'Avenir d'une illusion (1927), Pourquoi la guerre ? (1933), Psychologie des masses et analyse du moi (1921) mais aussi Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort (1915).
Aujourd'hui, répondant aux attentes d'un déchiffrage des ressorts cachés de l'actualité politique, les psychanalystes, mais aussi les philosophes se référent fréquemment au Malaise dans la culture pour en souligner la pertinence maintenue.
Le prix de la culture
À Romain Rolland qui lui reprochait d'avoir négligé d'analyser, dans L'Avenir d'une illusion, l'essence du sentiment religieux voisin de cette plénitude dont l'homme est toujours en quête, Freud répond, entamant ainsi son analyse du Malaise, que cette plénitude est la répétition de celle éprouvée par le nourrisson et que le réconfort religieux ne fait que satisfaire le besoin initial de protection du petit d'homme. Il y a malaise dit Freud car l'homme est sans cesse contrecarré dans sa recherche du plaisir : son expérience du malheur s'origine dans « la surpuissance de la nature, la caducité de notre propre corps et la déficience des dispositifs qui règlent les relations des hommes entre eux dans la famille, l'État et la société ». C'est cette troisième cause du malaise, la culture, entendue comme la somme des institutions et des développements technologiques qui sont censés aider et protéger les hommes, que Freud choisit d'étudier car c'est celle qui leur donne l'illusion de pouvoir être toujours améliorée. Aides et protections ne vont pas, en effet, sans une contrepartie, l'existence de règles et de contraintes qui font obstacle à la jouissance recherchée et constituent les causes d'un malheur renouvelé. D'où l'oubli, par certains, du caractère protecteur de la culture et leur plaidoyer pour un retour à l'état de nature dont Freud souligne qu'il est tout aussi utopique que les solutions proposées par le christianisme d'un côté, par le communisme de l'autre pour tenter d'éviter à l'homme la souffrance du dilemme auquel il ne cesse de faire face, ne pas être satisfait de la civilisation mais ne pas pouvoir s'en passer.
Les échecs des utopies tiennent au fait qu'elles ont toujours refusé de prendre en compte ces dimensions essentielles du psychisme humain, la haine et l'agressivité, sources de plaisir au même titre que l'amour, figures de cette pulsion de mort que Freud a identifié en 1920 dans Au-delà du principe de plaisir. Les tentatives égalitaristes ignorent ces dimensions parce qu'elles se soutiennent de l'existence d'un extérieur, ennemi, impie, adversaire de classe, autant d'objets de cette agressivité et de cette haine, sources de plaisir. Freud retrouve là cette donnée, le « narcissisme des petites différences », qu'il avait identifiée dans sa Psychologie des masses et que Lacan reformulera en parlant de la « terreur conformiste » des collectifs.
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Écrit par
- Michel PLON
: psychanalyste, membre du comité de rédaction de la revue
Essaim , membre du comité de rédaction deLa Quinzaine littéraire
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VIOLENCE, notion de
- Écrit par Philippe BRAUD
- 1 462 mots
...retour, la volonté de préserver une intégrité mise à mal s'appuiera aussi sur l'agressivité, mais cette fois participera, comme le montre Sigmund Freud dans Malaise dans la civilisation (1930), au « processus de civilisation » par l'entremise d'un regroupement social créé à l'encontre de...