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LE MARIAGE DE MARIA BRAUN, film de Rainer Werner Fassbinder

La reconstruction de l'Allemagne

Le récit est un mélodrame adapté du roman éponyme de Gerhard Zwerenz. Fassbinder, qui vient de redécouvrir les mélodrames hollywoodiens du cinéaste danois Douglas Sirk, va s'en inspirer en accentuant l'aspect paroxystique de son récit et le cynisme de son héroïne. Il offre en deux heures une fresque historique spectaculaire de l'Allemagne sous les bombes, de Berlin en ruines avec ses survivants qui trébuchent dans les décombres, de l'attitude des soldats americains envahisseurs, puis des étapes successives de la reconstruction urbaine et économique du pays.

Oswald est l'homme d'affaires européen type, celui qui s'associe aux capitaux américains pour développer son entreprise et créer les conditions du miracle économique allemand. Maria est une maîtresse femme, amoureuse d'un fantasme, le soldat Hermann, épousé en 1943, véritable fantôme de la Wehrmarcht. Le premier plan du film représente un portrait d'Hitler détruit par une explosion ; le film se termine par les portraits des dirigeants de la République fédérale, dont Adenauer, symboles du miracle économique. Le cri du commentateur du match qui hurle sa joie au moment de la victoire de l'équipe nationale met en évidence le moment historique où l'Allemagne humiliée retrouve dérisoirement sa dignité. Mais le film témoigne surtout de l'amnésie de la génération d'après guerre car les références au nazisme sont quasi inexistantes et Maria accepte, sans le moindre réflexe raciste, de faire l'amour avec un soldat américain noir dont Fassbinder souligne la nudité physique. Les scènes d'amour entre Maria et ses amants, Bill puis Oswald, sont filmées avec une grande sensualité et une indéniable provocation, selon les critères physiques et moraux qui dominent le cinéma en 1979. Cette présence des corps et la figuration du désir féminin s'opposent au caractère très idéalisé de la relation amoureuse qui lie Maria à son mari peu loquace.

Le style de Fassbinder est magistral. Le film privilégie les plans-séquences et multiplie les effets de cadrage sur les acteurs prisonniers des décors. Les multiples escaliers d'immeubles matérialisent l'ascension sociale des personnages et les rapports de domination qu'ils entretiennent. Les dialogues que Fassbinder met dans la bouche des protagonistes sont à la fois denses, allusifs, théâtraux et extrêmement efficaces sur le plan dramatique. Le récit multiplie les ellipses et le choix des lieux extérieurs (ruines, escaliers, paysages urbains) et intérieurs (cuisine de l'appartement en ruine, bureau de l'entreprise, bar, cabaret) est toujours au service de la portée symbolique de cette parabole. Fassbinder utilise également les fragments musicaux en début ou en fin de séquence pour des effets de contraste d'inspiration brechtienne. Sa bande sonore, avec des bruits d'explosions, de marteaux-piqueurs, de retransmissions radiophoniques, se révèle aussi importante que le contenu des dialogues.

— Michel MARIE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Média

<it>Le Mariage de Maria Braun,&nbsp;de R. W. Fassbinder</it> - crédits : Albatros Produktion/ Everett Collection / Bridgeman Images

Le Mariage de Maria Braun, de R. W. Fassbinder