Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE MENTEUR (P. Corneille) Fiche de lecture

Entre déraison et imposture

Corneille ne se cache pas d’avoir voulu écrire une pièce légère, visant d’abord à divertir. L’intrigue, fondée sur un quiproquo et une cascade de méprises induites par les mensonges de Dorante, multiplie les situations cocasses. Mais le comique repose aussi sur le caractère fantasque du personnage principal, ainsi que sur la bouffonnerie de son valet Cliton, ébahi, indigné ou hilare à chacune de ses « fourbes » ou « menteries ». L’œuvre enfin joue du comique verbal : les inventions de Dorante sont étincelantes de virtuosité et de fantaisie, sublimant les vantardises plus convenues des personnages de type fanfaron, comme Matamore dans L’Illusion comique.

Toute réflexion morale est-elle absente pour autant de la pièce ? On a pu voir en Dorante une étude de caractère, le personnage étant atteint d’une forme de folie douce – cette tendance à la fabulation que la psychiatrie nommera « mythomanie » à la fin du xixe siècle. En fait, les mensonges de Dorante s’inscrivent dans les codes partagés d’une société fondée sur le paraître, où les jeunes gens et les jeunes filles de la bonne société vivent peu ou prou d’une vie imaginaire inspirée par les fictions héroïques ou sentimentales à la mode. Ce jeu de « feinte », de simulation généralisée, goûtée presque comme une illusion agréable, marque une rupture avec l’éthique aristocratique traditionnelle – incarnée par Géronte –, qui voyait dans le mensonge l’accusation la plus grave pour un gentilhomme.

Le succès du Menteur a incité Corneille à en donner une Suite dès 1645, où Dorante et Cliton connaissent de nouvelles aventures : résolu à dire désormais la vérité, Dorante se voit cette fois forcé de mentir pour des raisons d’honneur… Mais c’est surtout chez Molière qu’il faut chercher la postérité de cette comédie : l’écriture éblouissante du Menteur a visiblement marqué ses premières pièces, notamment L’Étourdi (1655), et la réflexion sur le mensonge annonce un thème central du théâtre moliéresque, la place de l’imposture dans la société.

— Boris DONNÉ

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences en littérature française à l'université d'Avignon

Classification