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LE MÉPRIS, film de Jean-Luc Godard

Le jeu des contraires, des imbrications et des superpositions

Les transformations opérées par Godard sur le roman d'Alberto Moravia lui permettent de construire une tragédie moderne, réduite à deux jours consécutifs seulement, et de développer une analyse critique de l'évolution du cinéma en 1963, face à la crise de la production hollywoodienne. L'Odyssée évoque évidemment la faillite de la Fox à la suite de la production dispendieuse de Cléopâtre, réalisée la même année par Joseph Mankiewicz.

Godard tourne son film en décors naturels à Rome, dans les studios de Cinecittà, dans un appartement moderne encore inhabité, puis dans la somptueuse villa de Malaparte à Capri. Ce souci de réalisme va de pair avec le respect scrupuleux des langues parlées par les acteurs, qui deviennent alors les langues des protagonistes. Seuls Fritz Lang et l'interprète Francesca (Giorgia Moll) parlent toutes les langues du film (le français, l'anglais, l'italien et l'allemand) alors que Paul, Camille et Prokosch restent enfermés dans leur langue maternelle. Cette donnée dramatique permet à Godard de décrire très efficacement les difficultés de communication et les malentendus entre les personnages.

Godard enrichit également les références culturelles du roman, essentiellement liées chez Moravia à l'histoire de la littérature grecque et italienne, en multipliant les citations de films (M le Maudit, par exemple, au cours d'une conversation avec Fritz Lang, mais aussi Dean Martin, dans Comme un torrent [Some Came Running, 1959]) de Vincente Minnelli, dont Michel Piccoli s'amuse à imiter dans sa baignoire le port du chapeau). Par l'entremise de cet enrichissement, Godard offre au spectateur son analyse personnelle du rapport entre un génie créateur, en l'occurrence Fritz Lang, et un producteur brutal et inculte, l'odieux Jeremy Prokosch. Mais la force du film vient de l'imbrication étroite développée entre ce discours sur les conditions de la création artistique et la crise d'un couple moderne, celui que forme l'intellectuel tourmenté Paul et sa femme, la trop belle Camille. Qui plus est, Godard développe un parallèle entre ses deux héros modernes, le scénariste et son épouse, et les figures mythologiques représentées par Ulysse et Pénélope.

Le propos de Godard est magistralement servi par le groupe des cinq acteurs qu'il met en scène, groupe d'une singulière hétérogénéité, car il n'y a véritablement rien de commun entre la star Brigitte Bardot, le vieux réalisateur autrichien en fin de carrière Fritz Lang et l'acteur hollywoodien Jack Palance. Godard décrit leur confrontation dans des décors naturels transformés en scènes dramatiques et allégoriques grâce à l'écran large. Les rues désertes de Cinecittá représentent la faillite des studios hollywoodiens, tandis que les couleurs de la mer Méditerranée et les escaliers et terrasses de la villa de Capri matérialisent les lieux mêmes de la tragédie homérique et de sa reproduction moderne. Une tragédie antique magnifiée par l'écran en CinémaScope, les couleurs du Technicolor de Raoul Coutard et les amples accords de la musique de Georges Delerue.

— Michel MARIE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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