LE MÉTÉOROLOGUE (O. Rolin) Fiche de lecture
Olivier Rolin est depuis longtemps familier de la Russie, un pays qui, à la fois, l’attire et l’intrigue, où la géographie, l’histoire et la littérature se mêlent inextricablement. Rolin aime l’espace sans fin et les paysages que l’on peut contempler des trains si lents ; il voit aussi dans le xxe siècle et dans les crimes totalitaires qu’il a engendrés la tragique matrice de notre monde. Les grands écrivains russes, de Tchekhov à Chalamov, l’emportent, l’éclairent. À sa manière, Le Météorologue (Seuil, 2014) vient questionner cette passion.
« Un homme d’autrefois »
Le romancier français travaillait à un film documentaire sur la bibliothèque disparue des îles Solovki, quand il a découvert Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, l’auteur d’un livre n’existant qu’en un exemplaire, illustré de dessins faits à la main et destinés à une petite fille. Descendant de la petite noblesse, membre du Parti communiste, Vangengheim dirigea le service hydro-météorolique unifié de l’U.R.S.S. et représenta celle-ci à la « commission internationale sur les nuages ». En 1930, il avait créé le « Bureau du temps ». Il vivait à Moscou avec son épouse et leur fille quand, en janvier 1934, il s’est trouvé happé dans l’engrenage des purges. Interrogé au siège de la Loubianka par les agents de la Guépéou, il est alors forcé d’avouer sa participation à un obscur complot. On le condamne et l’envoie aux îles Solovki, non loin du cercle polaire. Cet ancien monastère est la matrice du Goulag, qui naît là en 1923. Avec la « grande terreur » de 1937, on tuera en masse. Iejov, âme damnée de Staline, établit des quotas : sept cent cinquante mille personnes seront exécutées en seize mois, soit « la moitié des morts militaires français de la Première Guerre mondiale, en moins de la moitié du temps ».
En 1934, les conditions de vie aux Solovki restent supportables pour une partie des détenus, notamment Vangengheim qui s’occupe des livres en langue étrangère de la bibliothèque : trente mille livres, parmi lesquels des romans de Stendhal ou de Maupassant, des ouvrages scientifiques, des textes philosophiques. Les détenus sont des bychvie, des gens d’autrefois, proches de ceux qu’on voit dans les pièces de Tchekhov : bourgeois et aristocrates, intellectuels, grands savants et professeurs s’y côtoient. On donne même des cours.
Vangengheim s’ennuie, ne comprend pas la raison de sa disgrâce. Il écrit des lettres à sa femme et à Éléonora, sa fille. À celle-ci, il envoie dessins et devinettes comme s’il explorait des terres nouvelles. Elle continue ainsi de découvrir et d’apprendre. À sa femme, il raconte ses journées d’attente, dit son sentiment d’inutilité, tandis que l’U.R.S.S. tente des expériences scientifiques, se lance à la conquête du pôle et de l’espace. En précurseur, lui-même a imaginé un territoire couvert d’éoliennes pour capter l’énergie du vent dans les espaces sans fin, il a songé à exploiter l’énergie solaire. Olivier Rolin, narrateur empathique, rend, dans le rythme de la deuxième partie du livre, la lassitude que Vangengheim éprouve, son désespoir grandissant devant le silence que Staline oppose à ses lettres. La réponse viendra en 1937. Vangengheim est transféré sur le continent. Officiellement, il est puni de dix ans d’emprisonnement « sans droit de correspondance ». La formule dit tout : il a été exécuté.
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
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