LE MISANTHROPE, Molière Fiche de lecture
Dès Boileau et la fin du xviie et surtout durant le xviiie siècle, on n'a cessé de célébrer Le Misanthrope de Molière (1622-1673) : une pièce aussi harmonieuse, aussi rigoureuse, en un mot une comédie aussi sérieuse a enfin réussi à légitimer le comique en le rendant moral. De plus, s'il prend bien appui sur des personnages topiques, en particulier à travers l'opposition de la prude et de la coquette, Molière ne renonce pas ici à l'ambiguïté quand il peint les personnages de Philinte et d'Alceste. Enfin, par un approfondissement des types moraux abordés, l'auteur du Misanthrope parvient à créer un effet de sympathie inédit de la part des spectateurs à l'égard de ses personnages.
L'« humeur noire » d'Alceste
Le 4 juin 1666, au théâtre du Palais-Royal, en pleine affaire Tartuffe, Molière interprète le rôle d'Alceste. « Atrabilaire amoureux » (ce devait être le sous-titre de la comédie avant que Molière n'y renonce lors de la publication), celui-ci déclame ses chagrins, et fait preuve d'une singulière bizarrerie. Il surprend tout son monde en affirmant qu'il ne veut rien tant qu'être seul sur scène, ou partir (« Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre »). Et l'on verra, à la fin de l'acte V, qu'Alceste sait tirer les conclusions de sa déclaration première puisqu'il quittera lui-même la scène pour se réfugier dans un « désert » solitaire, absolu et non-théâtral (« Trahi de toutes parts, accablé d'injustices,/ Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices ;/ Et chercher sur la terre un endroit écarté,/ Où d'être homme d'honneur on ait la liberté »).
La deuxième bizarrerie consiste en son amour paradoxal : Alceste, qui veut qu'on soit vrai et sincère, aime précisément celle qui correspond le moins à ses goûts – puisque Célimène est l'emblème de la coquette –, et n'aime pas celle qu'il devrait aduler : la prude Arsinoé. Pis, il aime Célimène pour ses péchés, tout en voulant ne pas l'aimer, et préférerait, comme le dit la chanson (acte I, scène 2), abandonner Paris plutôt que sa maîtresse. On verra ainsi que, ne pouvant réformer sa maîtresse et échouant à la conserver – elle refuse de le suivre –, il quittera Paris et sa maîtresse.
Troisième bizarrerie : paradoxal et violent, ce personnage qui entre sur le plateau pour faire le vide – il ne veut que parler à Célimène, et n'y parviendra qu'à la fin de la pièce – n'est pas un « rebelle » : il est vêtu en jeune courtisan, en honnête homme de salon, mais apparaît pourvu d'une aptitude extraordinaire à résister au monde auquel il appartient, comme s'il cherchait une vérité là où elle ne peut être.
Enfin, devant Philinte, son ami raisonneur partisan de l'attitude moyenne (« Le monde par vos soins ne se changera pas »), Alceste ne veut rien entendre. Il s'enferme dans son amour impossible, comme dans son refus radical d'être là où il est. En cela il plaît et fait rire, parce que cette somme de paradoxes sonne comme autant de ridicules que le public du Palais-Royal, rompu à l'hypocrisie mondaine, est à même de saisir.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Autres références
-
FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIe s.
- Écrit par Patrick DANDREY
- 7 270 mots
- 3 médias
...interdire pendant cinq ans la représentation de Tartuffe. Mais cet empêchement nous aura valu trois chefs-d’œuvre : outre Tartuffe , Dom Juan et Le Misanthrope portent la représentation du désir humain au cœur de ses contradictions les plus bizarres et les plus profondes. En parallèle, les commandes... -
MOLIÈRE (1622-1673)
- Écrit par Claude BOURQUI
- 7 627 mots
- 7 médias
...sont parvenus présentent un degré d’aboutissement très élevé. Le constat est particulièrement frappant en ce qui concerne la versification. Des comédies comme Le Misanthrope, Le Tartuffe ou Les Femmes savantes sont extrêmement élaborées sur ce point et n’ont rien à envier à des réalisations virtuoses...