LE MODÈLE NOIR DE GÉRICAULT À MATISSE (exposition)
Modèle noir et modèle féminin
Dès la première œuvre de l’exposition, le Portrait de Madeleine par Marie-Guillemine Benoist, la relation (aujourd’hui encore discutée) entre le statut des Noirs et celui des femmes est interrogée. La poitrine dénudée du modèle la confinerait à son statut de corps-objet si elle ne questionnait l’exclusion des Noirs du canon classique, auquel son style et les draperies renvoient, et si l’échange de regards entre la portraiturée et la portraitiste n’évoquait une certaine complicité. Une salle clé de l’exposition rassemble des peintures du second Empire dans lesquelles des domestiques noires servent de faire-valoir à la blancheur de leurs maîtresses. L’Olympia de Manet, dont le réalisme déstabilise le voyeurisme du spectateur à l’égard des deux modèles blanc (Victorine Meurent) et noir (Laure), contraste avec l’orientalisme illusionniste de Gérôme et de Bénouville, modernisé par Bazille, qui repose sur l’anonymat et l’assignation sexuelle autant que raciale de ces modèles. En raison de la difficulté à expliciter ces comparaisons sans l’aide des articles présents dans le très riche catalogue, on se plaît à imaginer d’autres rapprochements, là encore avec des sections distantes à l’intérieur de l’exposition : par exemple, pour Manet, avec les photographies d’Adrienne Fidelin par Man Ray, les œuvres de Matisse prenant pour modèles Carmen Lahens et Aïcha Goblet, ou, sur le versant orientaliste, avec les déclinaisons de cette dernière dans les toiles de Kisling et de Vallotton. L’accent porté sur leur identification révèle bien la présence noire dans la France de l’époque, mais elle aurait pu se conjuguer à une réflexion plus affirmée sur la différence qui existe entre le réel et sa représentation. Là s’entrelacent l’idéologie et la puissance polysémique des images, comme en témoignent la toile L’Asie de Matisse, pour laquelle a posé la Belgo-Congolaise Elvire Van Hyfte, ou la diversité des revisitations d’Olympia, de Cézanne à Matisse,des artistes de la Harlem Renaissance et du pop art à l’art contemporain qui conclut l’exposition.
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Écrit par
- Julie RAMOS : maître de conférences en histoire de l'art contemporain, université de Paris-I
Classification
Média