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LE MONARQUE DES OMBRES (J.Cercas) Fiche de lecture

Roman polyphonique, palimpseste d’une mémoire à la fois personnelle, collective et historique, Le Monarque des ombres (El Monarca de las sombras, 2017 ; traduit par A. Grujicic et K. Louesdon) se tisse en clair-obscur autour de la figure du grand-oncle maternel de Javier Cercas, Manuel Mena, jeune sous-lieutenant mort en septembre 1938 au combat, à dix-neuf ans, lors de la bataille de l’Èbre, du côté franquiste. Cercas eut très tôt connaissance de cette histoire mythifiée par le témoignage de sa mère, profondément attachée à cet oncle qui fut élevé dans la sphère familiale au rang de martyr.

Un roman familial

L’auteur, dépositaire de ce lourd passé difficile à assumer, semble comme hanté par ce sujet qu’il décide tout d’abord de ne pas révéler et qui, a posteriori, se décèle en creux dès son roman Les Soldats de Salamine(2001), porté à l’écran par le réalisateur David Trueba. Dans cette œuvre, le narrateur s’interroge sur l’un des épisodes survenus à la fin de la guerre civile espagnole : pourquoi l’écrivain phalangiste Rafael Sánchez Mazas fut-il épargné, lors d’une fusillade, par un soldat républicain ? Ce questionnement s’accompagne d’une autre réflexion sur la figure du héros ou de l’antihéros qui imprègne l’ensemble du roman et resurgira dans Le Monarque des ombres. Dans ce dernier, comme dans Les Soldats de Salamine, l’instance narrative se dédouble : la voix du narrateur, du nom de Javier Cercas, un double de l’auteur, alterne, sur les quinze chapitres composant le roman, avec celle d’un autre narrateur qui, lui, prétend restituer la vérité des faits, tel un historien. Ce stratagème littéraire permet à Cercas d’instaurer une distance par rapport au contenu de l’histoire, invitant également le lecteur à réfléchir autant au processus créatif qu’aux faits relatés.

Le premier chapitre du Monarque des ombres retrace les méandres de la pensée du narrateur, passant du refus d’écrire sur ce qu’il considère comme « honteux » à la remise en question de ce rejet, et finalement à la perspective d’affronter ce thème. En menant à bien ce projet, il sera accompagné de son acolyte, David Trueba qui, malgré ses réticences initiales, conduira finalement son ami jusque sur ses terres natales – tels Don Quichotte et Sancho Pança – dans ce village d’Estrémadure, Ibahernando, dont Cercas est originaire, comme sa famille, et comme l’était aussi son grand-oncle, Manuel Mena. C’est à partir de 2012 que ce besoin latent d’écriture se fait sentir : la mort de son père, le veuvage de sa mère, son propre rôle de père, tous ces éléments qui lui font prendre conscience du passage du temps sont autant de déclencheurs de la quête-enquête autour du personnage de Manuel Mena. La relation à la mère est ici déterminante : « Je compris que ma mère m’avait fait écrivain pour que je ne devienne pas Manuel Mena et pour que je puisse raconter son histoire à lui. » Un glissement subtil s’opère de la figure de l’aïeul à la figure maternelle.

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Écrit par

  • : maître de conférences à la faculté des lettres, Sorbonne université

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