LE MONDE COMME VOLONTÉ ET COMME REPRÉSENTATION, Arthur Schopenhauer Fiche de lecture
L’expérience esthétique
À ce monde apparent et illusoire auquel la catégorie de causalité sert d’armature métaphysique, il faut opposer le monde comme volonté. « La volonté est la substance de l’homme, l’intellect en est l’accident. » Considéré hors du principe de raison (objet du troisième livre), le monde de la représentation est pur objet de contemplation esthétique. Une contemplation désintéressée, échappant à la discursivité abstraite de la représentation courante, et dont les artistes, grâce à leur génie, offrent l’expérience. « L’artiste nous prête ses yeux pour regarder le monde », c’est-à-dire « l’essence des choses qui existent hors toutes relations ». La musique, art privilégié, nous permet de déchirer le « voile de Maya » des illusions et de pénétrer au seuil de la connaissance de soi, du « vouloir-vivre ».
C’est cette connaissance qui fait l’objet du quatrième livre. Connaissance débarrassée de toute illusion, prête à avouer que « la souffrance est le fond de toute vie », elle doit ou abdiquer et persévérer « entre souffrance et ennui » dans le cycle infernal du quotidien, ou « s’affirmer puis se nier ». Cette alternative est laissée au libre choix de l’individu, aucune raison supérieure n’étant là pour le guider. Le livre s’achève sur ces phrases : « Pour ceux que la Volonté anime encore, ce qui reste après la suppression totale de la Volonté, c’est effectivement le néant. Mais, à l’inverse, pour ceux qui ont converti et aboli la Volonté, c’est notre monde actuel, ce monde si réel avec ses soleils et toutes ses voies lactées, qui est le néant. »
Le pessimisme de Schopenhauer (le maximum de causes produisant le minimum d’effets) répond à l’optimisme de Leibniz (un minimum de causes pour un maximum d’effets). La leçon aura su retenir l’attention d’esprits aussi divers que Wagner, Nietzsche qui, après avoir salué dans sa Troisième considération inactuelle : Schopenhauer éducateur l’audace du penseur solitaire, ne cessera de combattre le nihilisme dont il aurait été le meilleur soutien, Bergson, Freud qui dira lui devoir beaucoup, Adorno et nombre d’écrivains, parmi lesquels Thomas Mann et, en France, Huysmans, Proust, Beckett, Cioran.
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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