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LE MONDE HALLUCINANT, Reinaldo Arenas Fiche de lecture

Fray José Servando Teresa de Mier Noriega y Guerra (1765-1827), docteur en théologie, prédicateur célèbre, fervent lecteur de Voltaire et de Rousseau, a eu une vie particulièrement agitée, qui l'a souvent conduit dans les geôles espagnoles et mexicaines de son temps, et parfois aux bords mêmes du bûcher inquisitorial. L'auteur de L'Histoire de la révolution de la Nouvelle-Espagne (écrite à Londres de 1811 à 1813) a poursuivi toute sa vie un objectif unique : le départ des Espagnols et l'indépendance du Mexique.

Une anti-biographie en forme de pamphlet

C'est autour de ce personnage truculent et turbulent que le romancier cubain Reinaldo Arenas (1943-1990) a construit son second roman, Le Monde hallucinant (El Mundo alucinante, 1969) : « Ceci est la vie de Fray Servando Teresa de Mier. Tel qu'il fut, tel qu'il a pu être ; tel que j'aurais aimé qu'il eût été. Plutôt qu'un roman historique ou biographique, ceci veut être, simplement, un roman », prévient l'auteur dès la première page. Tout en pratiquant une intertextualité débridée (Quevedo, Cervantes, Pio Baroja, Melville, Carpentier sont ici convoqués), Arenas a respecté les étapes essentielles de la carrière de Fray Servando. Mais Le Monde hallucinant est une anti-biographie, dans laquelle l'imagination de l'auteur s'ingénie à réinventer la trajectoire existentielle de cet apôtre de la défense des libertés essentielles.

Le livre est un récital de prose baroque, un hymne, tantôt grave tantôt enjoué, à l'outrance et à la démesure, visant par la parodie à une condamnation sans appel de la violence. Ici rien n'est vrai, rien n'est faux ; la « vérité historique », la « logique cartésienne » sont des critères dépassés ; le lecteur choisira, selon ses affinités et son humeur du moment, entre plusieurs « solutions ». Paradoxes, défis au « bon goût », contradictions volontaires, appels au fantastique le plus flamboyant ou le plus répugnant – tous les moyens sont bons pour proclamer le droit à la justice, à la pureté, à la poésie, dans les limites de l'humain. Cette sorte de bande dessinée aux couleurs chatoyantes ou effrayantes qui rappellent le pop art nord-américain est d'abord un prodigieux pamphlet. Rien ne résiste à la verve satirique de cet homme qui en est arrivé à « la conclusion que même dans les choses les plus douloureuses il y a un mélange d'ironie et de bestialité qui fait de toute tragédie véritable une succession de calamités grotesques ».

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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