LE MOT ET LA CHOSE, Willard van Orman Quine Fiche de lecture
Le Mot et la chose n'est pas seulement le plus connu des livres que Willard van Orman Quine (1908-2000) a publiés ; il est aussi celui qui aura engagé la philosophie issue du cercle de Vienne, après son implantation aux États-Unis, dans les voies nouvelles dont la philosophie analytique est pour une large part l'héritière. Publié en 1953, Le Mot et la chose (Word and Object) enrichit, tout en la dépassant, la critique de l'empirisme que Quine avait inaugurée dans sa brève étude de 1950 : « Les Deux Dogmes de l'empirisme ». Quine y montrait que la distinction entre propositions analytiques et propositions synthétiques, entre des énoncés vrais indépendamment de l'expérience et des énoncés vrais en fonction de leur seule signification, ainsi que le vérificationnisme, autour desquels le positivisme logique avait édifié sa théorie de la science, se heurtaient à d'insurmontables difficultés, et devaient donc être abandonnés. À partir de là, Le Mot et la chose va s'engager dans la construction de la théorie du langage et des catégories que réclame une conception conséquente de la science.
Traduction radicale et signification
Orienté vers un examen des catégories de la connaissance scientifique qui se démarque d'une recherche de ses fondements, Le Mot et la chose est construit, pour une large part, sur une expérience de pensée destinée à examiner la manière dont le langage se rapporte au monde et en autorise la connaissance. Sous ce rapport, pour Quine, l'apprentissage du langage joue un rôle majeur ; en même temps, un béhaviorisme de principe, faisant appel à la psychologie des stimuli et des réponses, permet seul de surmonter les insuffisances des théories philosophiques de la connaissance. La fiction d'un linguiste qui se proposerait d'élaborer un manuel de traduction pour une langue qu'il ne connaît pas, à partir de ce qu'il lui serait possible d'observer du comportement des locuteurs dans des contextes variés, fournit à Quine la méthode dont il a besoin. Dans une telle situation de « traduction radicale », le seul concept de signification disponible est celui de « signification-stimulus » ; il constitue la base à partir de laquelle le linguiste peut élaborer un dictionnaire. Toutefois, les garanties liées à un tel concept concernent les seules phrases observationnelles. Aussi la situation de « traduction radicale » débouche-t-elle sur la mise en évidence d'une « indétermination de la traduction » et de l'« inscrutabilité de la référence ». « Comprendre une phrase, c'est comprendre un langage. » Dans une situation de traduction radicale, en effet, nul ne peut relier à un mot une référence univoque. Aucun manuel de traduction, d'autre part, ne peut prétendre à l'exclusivité. Pour une même langue, plusieurs manuels de traduction sont possibles, tous également satisfaisants par rapport aux besoins auxquels ils doivent répondre. Qui plus est, contrairement à ce qu'on pourrait être tenté de croire, de tels constats ne concernent pas les seules relations entre des langues distinctes. Comme le dit Quine, « la traduction radicale commence à la maison ».
Ces résultats apparemment embarrassants pour une connaissance objective du monde prolongent la critique de l'empirisme qui avait caractérisé les premiers travaux de Quine ; en même temps, ils permettent de formuler des questions qui avaient marqué les nouveaux développements de la logique, à commencer par celle qui concerne la façon dont les mots s'ancrent dans le monde.
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Écrit par
- Jean-Pierre COMETTI : professeur honoraire des Universités
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