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LE MUET A LA PAROLE (colloque)

Il existe une actualité du son enregistré, dupliqué, mixé, mis en scène, de son histoire et son évolution depuis la fin du xixe siècle. Au cours de l'année 2004, à Paris, un colloque international organisé à l'auditorium du Louvre par une équipe du C.N.R.S., « Le muet a la parole », l'exposition Sons & Lumières. Une histoire du son dans l'art du XXe siècle au Centre Georges-Pompidou, mais aussi de nombreuses publications universitaires aux États-Unis ou en France renouvellent de fond en comble l'approche qu'on a eue jusqu'à présent de la question.

Les raisons de ce bouleversement sont multiples. On peut en retenir deux qui paraissent essentielles : l'une touche aux médias, l'autre au medium. L'évolution des technologies du son avec le numérique a transformé le domaine de la musique enregistrée non seulement sur le plan de la diffusion (avec le passage du disque et de la bande analogique à l'inscription digitale) mais sur celui de sa production et de son appropriation par le public (avec l'ordinateur). Ces changements ont, de surcroît, gagné les domaines du son en général : le cinéma (film) et ses succédanés (DVD) en témoignent, où la recherche d'effets sonores prime volontiers sur l'image. La restauration d'un film ne tient-elle pas souvent à la réorchestration et au re-mixage de sa bande son ? Par ailleurs, l'abandon du modèle artistique centré sur la « spécificité » de chaque medium – qui a joué un rôle capital pour la légitimation des arts mécaniques (photo, cinéma en particulier) – permet aujourd'hui de redécouvrir la réalité intermédiatique de ceux-ci, leur hétérogénéité constitutive, les inscrivant dans un champ plus vaste, celui des spectacles qui, aujourd'hui, trouve des points d'intersections avec les dispositifs multimédias de l'art contemporain. Pour ce qui est du cinéma, les conditions de ce changement ont, en premier lieu, procédé d'une révision de fond de la nature du cinéma « des premiers temps », autrefois appelé « primitif ».

De ces changements, le colloque du Louvre des 12 et 13 juin 2004, « Le muet a la parole », a éloquemment traité, annonçant par là même un tournant dans les études cinématographiques françaises. Les deux organisatrices, Giusy Pisano (université Lille-III) et Valérie Pozner (C.N.R.S.), se sont respectivement attachées dans leurs recherches, la première aux technologies du son enregistré (du phonographe au son optique), et la seconde à la présence du son « vivant » au cinéma (bruitage, musique dans la salle, bonimenteur) avant l'avènement du sonore. Cela met bien en évidence deux vecteurs qui traversent l'histoire du cinéma. Le film n'a, au début, aucune autonomie. Il participe d'un ensemble diversifié de spectacles vivants dont il est un élément, puis il recourt au service d'un bonimenteur qui explique et sonorise le film dans la salle, à des comédiens ou des chanteurs cachés derrière l'écran et interprétant la partie sonore du film ; enfin, il connaît de nombreuses expériences de synchronisation avec une musique vivante ou mécanique, un phonographe ou un gramophone.

Le colloque porta ainsi à la fois sur les pratiques techniques, culturelles et sociales du son au cinéma et avant même son avènement (avec les fantasmagories de Robertson, la lanterne magique, la chronophotographie) dans les trois grands domaines de la production, de la réception et de l'esthétique. En contrepoint, les soirées s'efforcèrent de reconstituer les conditions de projection de l'époque, avec acteurs derrière l'écran, bruiteur, machine à bruits, phonographes, etc., à l'aide de copies de films restaurées pour l'occasion par les Archives du film et dont certaines n'avaient jamais été projetées depuis l'époque – jusqu'à la reconstitution d'une séance de « nickelodéon[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du cinéma à l'université de Lausanne (Suisse)

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