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LE MUSÉE ÉPHÉMÈRE. LES MAÎTRES ANCIENS ET L'ESSOR DES EXPOSITIONS, Francis Haskell Fiche de lecture

Le Musée éphémère s'achève par un dernier détour dans La Recherche du temps perdu : Bergotte moribond va voir (comme Proust le fit lui-même, au soir de sa vie) la Vue de Delft de Vermeer, qui avait quitté la Mauritshuis de La Haye pour être exposée à Paris, lors de l'exposition des peintre hollandais au musée du Jeu de Paume, en 1921. En contemplant le tableau, il murmure dans une ultime illumination, « C'est ainsi que j'aurais dû écrire », puis « Petit pan de mur jaune », avant de s'affaisser. Dernier livre de l'historien d'art britannique Francis Haskell (1928-2000), dont la mise au point finale, après la mort de l'auteur, fut assurée par Nicholas Penny, Le Musée éphémère a la valeur d'un testament intellectuel et critique. Il s'appuie sur ce que les travaux antérieurs avaient révélé, suggérant en retour, de la manière la plus saisissante, la profonde unité de l'œuvre de Francis Haskell. Et il invite, particulièrement dans les derniers chapitres du livre, à poursuivre l'histoire du phénomène des grandes expositions de maîtres anciens, mais aussi à dénoncer leur abus, les risques que celles-ci font courir aujourd'hui aux œuvres et à l'institution, à l'époque du libéralisme triomphant. Haskell avait été en effet l'un des premiers à dénoncer publiquement, à propos d'une rétrospective Titien à Washington, les « dangers des grandes expositions internationales » induits par les incessants voyages des chefs-d'œuvre dans les airs.

Histoire du goût et « redécouvertes »

L'ouvrage comprend neuf chapitres qui suivent une ligne chronologique, de la fin du xviie siècle aux années 1930. Son objet est l'essor considérable, durant cette période, des expositions de « Maîtres anciens » (au moment où le concept naît, à la Renaissance, l'expression désigne les artistes morts ; à l'époque où le genre se développe considérablement, au xixe siècle, elle englobe les artistes ayant exercé avant la Révolution française). Si la Grande-Bretagne, la France et l'Italie sont les scènes principales qui permettent à Haskell de retracer, dans leurs traits majeurs, la genèse et l'évolution des expositions de maîtres anciens, l'historiographie allemande est souvent présente, avec notamment les figures majeures de Gustav F. Waagen et de Johann David Passavant, deux des historiens de l'art les plus influents du xixe siècle, liés à l'organisation d'une des plus grandes expositions jamais organisée : Art treasures of the United Kingdom, à Manchester en 1855.

Dans le premier de ses grands livres, Mécènes et peintres (1963), Haskell avait mis à nu les mécanismes d'orientation du goût chez les grands mécènes italiens de l'époque baroque, ouvrant ainsi, par l'histoire du goût et de ses variations, une perspective inattendue vers une véritable histoire sociale de l'art. Par la suite, dans La Norme et le caprice (1976), Haskell observait, à l'intérieur d'un grand xixe siècle allant de la Révolution à la Première Guerre mondiale, les « redécouvertes » en art qui scandaient durant cette période les mutations du goût, et qui faisaient apparaître au firmament de nouvelles étoiles : Botticelli, Piero della Francesca, Frans Hals, Greco... Ces « redécouvertes » de maîtres oubliés avaient leurs héros : les « taste-makers », tel William Thoré-Bürger, le « redécouvreur » de Vermeer. En contrepoint, Pour l'amour de l'antique (1981), écrit avec N. Penny, mettait en lumière la création puis la désagrégation du canon de la grande statuaire classique, qui avait servi de mesure au goût artistique de la Renaissance jusqu'au début du xxe siècle. Autant d'ouvrages qui éclairent la lente progression des renversements du goût, avec les légères secousses[...]

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Écrit par

  • : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre

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