LE MYSTÈRE LE NAIN (exposition)
Alors que, sous la pyramide du Louvre, l’immense popularité de Vermeer aura quelque peu éclipsé le génie de Valentin de Boulogne, le Louvre-Lens a accueilli, du 22 mars au 26 juin 2017, une « exposition événement » consacrée aux frères Le Nain. On peut y voir, une quarantaine d’années plus tard, un aboutissement des études suscitées par les cours de Jacques Thuillier au Collège de France et par la mémorable exposition qu’il avait organisée au Grand Palais en 1978.
Si Louis, Antoine et Mathieu Le Nain, longtemps réunis sous une seule « marque de fabrique », comptent en effet parmi les artistes les plus importants du xviie siècle français, la personnalité artistique de chacun, leur inspiration et leur influence soulèvent des questions auxquelles les spécialistes savent désormais mieux répondre mais dont ils continuent de débattre.
Un atelier renommé
Organisée avec le Kimbell Art Museum (Fort Worth) et les Fine Arts Museums de San Francisco où elle avait été d’abord présentée, cette rétrospective offrait à Lens un ensemble exceptionnel de soixante-douze peintures, dont cinquante-cinq des trois frères (soit plus des deux tiers de l’œuvre connu, y compris quelques inédits), prêts exceptionnels de collections privées et de grands musées. Nicolas Milovanovic, conservateur en chef au département des Peintures du musée du Louvre, et Luc Piralla-Heng Vong, chef du service conservation du Louvre-Lens, en étaient les commissaires. L’exposition présentait un noyau commun de trente-quatre tableaux, mais la sélection américaine, plus restreinte, et portée par d’autres spécialistes, reflétait une interprétation de l’œuvre divergente sur certains points. Les deux catalogues témoignent de ces confrontations de points de vue en rassemblant des contributions des deux équipes.
Au cœur du « mystère Le Nain », la question de la distinction des mains fait débat de longue date entre les spécialistes. Aussi le parti pris de l’accrochage lensois était-il de regrouper les tableaux selon leur facture, pour tenter de mettre en lumière la personnalité artistique de chacun des trois frères, ainsi que la coexistence de mains différentes dans plusieurs œuvres. De Bacchus et Ariane (vers 1635, musée des Beaux-Arts d’Orléans) au célèbre Intérieur paysan (vers 1642-1645) de la National Gallery of Art de Washington, Louis, le cadet, s’impose comme le grand créateur de la famille, avec ses compositions bien campées, son coloris subtil, la poésie juvénile de ses sujets historiques, la dignité de ses scènes paysannes et son sens du paysage. D’Antoine, l’aîné, titulaire de la maîtrise autorisant l’ouverture de l’atelier familial dans l’enclos de Saint-Germain-des-Prés, la touche virtuose et les raffinements chromatiques servent une double spécialité de portraitiste (Henri de Lorraine, comte d’Harcourt, vers 1638-1640 ; collection particulière) et de miniaturiste (Le Bénédicité, vers 1645 ; Pittsburgh, The Frick Art and Historical Center), attestée par les sources anciennes. Quant à Mathieu, le plus jeune, peintre ordinaire de la ville de Paris dès 1633, reçu dans l’ordre de Saint-Michel en 1662 puis radié faute d’avoir pu prouver sa noblesse (il se parait depuis 1658 du titre de sieur de La Jumelle, une terre du Laonnois), c’est d’évidence, de L’Annonciation (vers 1630-1632, Paris, église Saint-Jacques-du-Haut-Pas) à L’Atelier de l’artiste (vers 1655 ; Poughkeepsie, Vassar College), un peintre éclectique, au coloris un peu lourd, et dont les sources d’inspiration multiples l’emportent sur l’observation de la nature, que l’exposition donnait à voir. Ses interventions, aux côtés de Louis sur deux tableaux célèbres, La Tabagie (1643 ; musée du Louvre) et Triple portrait (vers 1646-1648 ; Londres, National Gallery) sont à cet égard très révélatrices.
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
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Média