LE NŒUD DE VIPÈRES, François Mauriac Fiche de lecture
Un roman de la grâce
Mauriac excelle à restituer les agitations du discours intérieur, dans un récit où le présent prend son sens grâce à la permanente évocation du passé. La lettre consigne la naissance, l'accroissement de la haine qui mine Louis. La déception est le moteur de cette chute : l'amour meurtri essaie de trouver dans l'argent, dans les « possessions » dont parle l'Évangile, un réconfort illusoire. En même temps, l'analyse de son ressentiment est pour Louis une manière, détournée, de lancer un appel désespéré à Isa, femme chérie, haïe, délaissée, et dont l'amour fut cependant constant. Louis ne change pas aisément de chemin, le travail de la grâce le pousse de retranchements en désillusions. Il existe heureusement une faille par où l'amour divin pourra s'infiltrer : le dépouillement et l'oubli de soi. Mais il faudra un autre aveu pour que Louis naisse enfin à lui-même : reconnaître que son cœur est ce « nœud de vipères » que rien n'est encore venu trancher. « Oh ! Ne crois pas surtout que je me fasse de moi-même une idée trop haute. Je connais mon cœur, ce cœur, ce nœud de vipères : étouffé sous elles, saturé de leur venin, il continue de battre au-dessous de ce grouillement. Ce nœud de vipères qu'il est impossible de dénouer, qu'il faudrait trancher d'un coup de couteau... »
L'acceptation tranche enfin le nœud de vipères. « La haine était morte, mort aussi ce désir de représailles, mort peut-être depuis longtemps. » Si le cœur de Louis n'avait été, jusqu'à la haine, débordant de passion, aucune illumination n'aurait visité cette âme. L'ardeur pascalienne est ici éclatante, la tension, signe d'absolu, sinon d'une éternité que ce monde rend opaque.
Autre signe de passion salvatrice, l'attachement viscéral à la terre bordelaise qui, dans l'ordre du cœur, devient cette messagère dont il faut savoir interpréter le secret. Le seul amour de Louis se dévoile lentement, et la femme disparue est en lui réinstaurée dans la beauté de son mystère. Elle revit grâce à ce détachement imposé puis accepté, qui permet à la dépossession voulue de donner des fruits d'abondance : un surcroît de tendresse naîtra du détachement final, et ce supplément d'âme n'est rien d'autre que la découverte de la tendresse même de Dieu.
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Écrit par
- Claude-Henry du BORD
: professeur d'histoire de la philosophie, critique littéraire à
Études , poète et traducteur
Classification
Autres références
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MAURIAC FRANÇOIS (1885-1970)
- Écrit par Henri PEYRE
- 2 565 mots
- 1 média
...Mauriac est revenu à ce personnage maladif et attachant, l'un des rares protagonistes de ses romans qu'il s'est résigné à ne pas convertir in extremis. Le Nœud de vipères est celui d'une famille avare et haineuse, et plus encore le réseau de méchanceté, de dépit, d'endurcissement dans l'égoïsme et la...