LE NOM DE LA ROSE, Umberto Eco Fiche de lecture
Une réflexion sur les signes
Mais alors, pourrions-nous questionner à notre tour, à l'aune des jours, à quoi sert un détective ? Quel est le sens de la dimension policière du Nom de la rose ? Il apparaît que celle-ci repose sur une certaine frustration : là où Sherlock Holmes considérerait comme une faute grave de ne pas sauver son innocent client de la mort (sir Henry dans Le Chien des Baskerville, par exemple), Guillaume se montre ici remarquablement inefficace selon les critères du roman policier de référence. Il ne prévient aucun des crimes dont les héros de la connaissance sont les victimes, ce qui n'est pas sans affaiblir l'aspect « roman d'action » du livre. Mais l'intelligence d'Umberto Eco nous piège, ici, dans nos habitudes puisqu'il transforme incontinent cette faiblesse en signe supérieur de la force de l'Histoire. À l'aune de celle-ci, sauver des « innocents » au jour le jour n'aurait guère plus de sens que les sauver chez Edgard Poe à l'aune de la sacro-sainte logique. Guillaume de Baskerville n'a pas gardé de Sherlock Holmes la qualité de justicier, mais l'orgueil de comprendre. Il n'y réussira, d'ailleurs, que fort imparfaitement.
On mesure l'imbrication complexe des niveaux de lecture de ce roman, où pourtant les fils ne se perdent jamais. Une langue des plus directes (nonobstant le latin non traduit) sert efficacement la richesse de la pensée. « Un roman, dit Eco, n'est pas un fait de langage verbal, mais une affaire de construction cosmologique. Je ne veux pas dire que le langage ne compte pas, mais, ici, le langage est second. » Cela vient illustrer une ultime dimension du livre qu'il importe de ne pas omettre. Le Nom de la rose est l'œuvre d'un sémiologue qui réfléchit sur les signes, sur les conflits ardus de la pensée médiévale à leur égard, pour terminer superbement sur un hommage à eux rendu : « Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus », ce dont nous risquerons une traduction : « La rose d'antan subsiste par son nom, nous gardons les noms à l'état nu. »
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Écrit par
- Jacques JOUET : écrivain
Classification
Média
Autres références
-
ITALIE - Langue et littérature
- Écrit par Dominique FERNANDEZ , Angélique LEVI , Davide LUGLIO et Jean-Paul MANGANARO
- 28 412 mots
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