LE NOUVEAU CHRISTIANISME, Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon Fiche de lecture
« C'est Dieu qui m'a parlé » déclarait Saint-Simon en 1803 dans son premier livre, Lettres d'un habitant de Genève à ses contemporains (1803). Hantant l'ensemble de l'œuvre de l'ingénieur polytechnicien qui ne pouvait concevoir la restructuration de l'édifice social sans ciment spirituel, la question religieuse, déjà perceptible dans Du système industriel (1821), devient entre 1823 et 1825 omniprésente dans les écrits considérés habituellement comme constituant, après la série de travaux consacrés à l'épistémologie et à la politique, la troisième et ultime période de l'auteur. À placer donc à côté du Catéchisme des industriels (1823-1824) et de Quelques opinions philosophiques à l'usage du XIXe siècle (1825), Le Nouveau Christianisme, composé peu avant la mort de Saint-Simon et resté inachevé, expose, de façon testamentaire, « toute sa doctrine » que les disciples, constitués en « Église », tâcheront par la suite d'exécuter et de diffuser.
Une hérésiologie iconoclaste
Saint-Simon n'a donné qu'un seul des trois entretiens qu'il avait initialement réservés à cet ouvrage sous-titré « Dialogues entre un conservateur et un novateur ». Articulant la foi sur la distinction à faire entre « ce que Dieu dit personnellement et ce que le clergé dit en son nom », Le Nouveau Christianisme, après un bref avant-propos dû à la plume de son ami O. Rodrigues, s'ouvre sur un constat : en « opposition avec le principe fondamental de la morale divine », le clergé « a commis les erreurs les plus nuisibles à la société » et « la religion a perdu, depuis le quinzième siècle, son unité d'action ».
Ce bilan n'exclut pas la promesse d'une « religion universelle et unique » dont le novateur expose les caractéristiques : un culte et un dogme axés sur une morale prônant le retour à une conception paulienne de l'amour du prochain et un clergé qui se limitera à l'enseigner, et à travailler « au grand but de l'amélioration la plus rapide possible du sort de la classe la plus pauvre ».
L'appel à ce retour aux sources du christianisme est commandé par le non-respect, par les différentes « associations religieuses » en place, de ses principes fondamentaux. En effet, la mise sous tutelle des laïcs par des clercs omnipotents, l'éducation désastreuse des séminaristes, l'administration ecclésiastique inefficace et le soutien porté à l'Inquisition et aux Jésuites font du catholicisme, malgré un « certain vernis d'orthodoxie », une hérésie. À ce catalogue, Saint-Simon ajoute la liste des griefs adressés au protestantisme qui, en la personne de Luther, a « bien critiqué » mais « mal doctriné » : sont ainsi dénoncés le manque d'ambition et le retard de sa morale par rapport à l'état actuel de la civilisation, le prosaïsme de son culte dépouillé des ressources esthétiques des beaux-arts et son fétichisme biblique qui conduit à un goût excessif pour la métaphysique, à la croyance dangereuse en une égalité sociale absolue et à un endoctrinement inutile.
Ce monologue s'achève sur un échange au cours duquel le novateur justifie, d'une part, sa démarche critique comme étant la plus à même de convertir par la démonstration et la persuasion les chrétiens égarés à la nouvelle doctrine, et, d'autre part, l'importance sociale et le rôle de légitimation qu'il accorde aux artistes, savants et industriels qui auront la charge de sa diffusion. Enfin, après avoir indiqué le plan des entretiens suivants – le deuxième devant porter sur l'aspect théorique et scientifique du christianisme et le troisième sur son contenu propre –, Saint-Simon, « convaincu d'accomplir une mission divine », clôt son ouvrage en interpellant les princes, priés de redevenir de bons chrétiens et d'accomplir la mission[...]
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Écrit par
- Éric LETONTURIER : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne
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Média