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LE NOUVEAU MONDE AMOUREUX, Charles Fourier Fiche de lecture

Charles Fourier (1772-1837) occupe une place unique dans l'histoire des idées pour avoir seul prêté forme et cohérence à un rêve d'harmonie universelle. Il a nourri de sa richesse subjective le projet d'une société capable de favoriser les désirs de chacun en les modulant et en les accordant selon les principes de l'art musical. Rompant radicalement avec des siècles de domination religieuse et idéologique, il a remis au centre de nos préoccupations cette prééminence de la vie, dont nous avait éloignés une existence réglée souverainement par le ciel des idées. Le génie de Fourier explore une réalité radicalement autre. Il entend restituer à la substance charnelle, aux pulsions, aux émotions, aux passions un espace et un temps dont l'homme se trouve quotidiennement exilé par l'emprise de la rationalité mercantile. Nul ne peut aborder son œuvre sans se dépouiller d'une perception de la réalité qui nous a été imposée depuis des millénaires, et dont nous savons désormais qu'elle est déterminée non par la nature mais par un système qui la dénature pour l'exploiter.

Fourier a laissé à l'état de manuscrits son esquisse d'un « nouveau monde amoureux ». Ses cahiers ont survécu à plusieurs naufrages. Les rares fragments publiés furent mutilés et censurés par des disciples, soucieux d'épargner au théoricien du renouveau industriel le reproche de se consacrer à un sujet aussi scabreux que la diversité des inclinations amoureuses. Ses feuillets, retrouvés par hasard, seront répertoriés par Edith Thomas, qui les accueille aux Archives nationales de Paris. Les cahiers ont été étudiés et publiés par Simone Debout. Le Nouveau Monde amoureux forme le volume VII des œuvres complètes de Fourier, éditées à Paris, en 1967, par les éditions Anthropos.

L'homme, un être de désir et d'imagination créatrice

Fourier n'a rien d'un révolté ni d'un révolutionnaire. Il n'appelle pas à réduire en cendres une société gangrenée par la corruption. Il s'appuie sur l'usage civilisé de la prédation à des fins économiques, qui condamne les hommes à l'appauvrissement matériel et mental, pour en dégager un système d'attraction, capable d'affranchir les passions du chaos où elles se combattent et se détruisent, pour les mener, par un jeu d'agencements et de combinaisons, à la découverte et à la construction d'une vie que chacun aspire à goûter et à enrichir.

Il prend pour point de départ l'état déplorable du monde, de la société, de nos pulsions. Il en identifie les mécanismes, puis, sans rien vouloir changer de manière abrupte, sans briser les impératifs pour la plupart odieux qui nous motivent, il les dirige dans leur essor, libère les passions de leur « engorgement », identifie les liens que l'ignorance et la passivité ont enchevêtrés dans le chaos des émotions qui nous submergent et, les dénouant, il entreprend d'explorer plus avant un champ de possibilités afin de les harmoniser.

« Engorgement » désigne chez Fourier ce que Freud appellera refoulement et défoulement. « Nos savants, écrit-il, ont traité l'amour matériel comme un torrent dont on essaierait de barrer le lit sous prétexte qu'il est dévastateur. Qu'arriverait-il ? Que le torrent entravé se jetterait au travers des campagnes et ravagerait dix fois plus de terrain qu'il n'en eût occupé dans un lit suffisant, ainsi en proscrivant l'essor légal et l'emploi social de l'amour matériel, soit par le concubinage, soit par d'autres voies, on a quadruplé son influence et rompu toute proportion, l'on a réduit le sentimental en vil esclavage qui n'intervient que pour servir de masque. »

L'orgie manifeste l'état brut de l'animalité passionnelle. Fourier insiste sur le caractère heureux qu'elle revêt[...]

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