Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE NUAGE EN PANTALON, Vladimir Maïakovski Fiche de lecture

Un lyrisme libéré du « moi »

C'est une histoire toute simple : le poète attend Maria dans un hôtel de Kiev. Elle ne vient pas au rendez-vous. Plus tard, elle apparaît pour annoncer qu'elle se marie. Mais avec un autre. De ce simple épisode biographique, Maïakovski fait un « tétraptyque », une tragédie en quatre actes.

Le poème se déploie dans un espace intérieur fantasmagorique où le moindre événement de la vie s'élargit aux dimensions de l'univers, où la déception amoureuse libère un affect démesuré : « Et je sens que „moi“/ Pour moi, c'est trop petit... » Cet espace énorme se gonfle d'un amoncellement d'images inouïes : la nuit armée d'un couteau, le naufrage du Lusitania en flammes, les gouttes de pluie qui grimacent, et autres « chimères de Notre-Dame de Paris ». La déception amoureuse engendre des monstres, la folie rôde.

Les habitudes convenues d'un lyrisme rassurant se heurtent à la réalité, qui par sa brutalité proclame la destitution de toute « littérature ». Pour célébrer la nouvelle époque, il faut non pas un chantre pleurnichard et « grisâtre comme une caille », mais un orateur, un prophète, un « treizième apôtre », qui soit un « forçat de la vie », un maître et sauveur du monde – incongru, provoquant, immense, clown tragique braquant sur le monde « le monocle du soleil ». Tel qu'il est, grandiose et ridicule, le poète qui se plaint d'un « incendie de cœur » supplie Maria de lui revenir. Devant son refus obstiné, il s'en prend à ce « pauvre petit dieu de rien du tout », avant d'aller se tapir au plus profond du ciel saccagé : « L'univers dort :/ Il a posé sur sa patte/ Une immense oreille grouillante d'étoiles. »

C'est sur ces mots que se clôt Le Nuage en pantalon, confession et manifeste, qui unit dans une intonation unique la parole du créateur et la prière de l'amoureux, le cri et le murmure, et qui dresse au seuil des temps nouveaux un édifice de mots fous, brutaux et tendres, où l'homme de l'avenir reconnaîtra sa voix.

— Hélène HENRY

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancienne élève de l'École nationale supérieure de Sèvres, maître de conférences honoraire à l'université de Paris-Sorbonne

Classification