LE PÈRE GORIOT, Honoré de Balzac Fiche de lecture
Un roman balzacien exemplaire
La description de la pension Vauquer, au début du roman, est souvent considérée comme typiquement balzacienne : « La maison où s'exploite la pension bourgeoise appartient à madame Vauquer. Elle est située dans le bas de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, à l'endroit où le terrain s'abaisse vers la rue de l'Arbalète par une pente si brusque et si rude que les chevaux la montent ou la descendent rarement. » En effet, la description minutieuse du quartier, de la maison et de ses pensionnaires, loin de retarder l'action, porte la marque de l'histoire à venir et en constitue pour ainsi dire la matrice. De même que la personne de Mme Vauquer « explique la pension, comme la pension implique la personne », on pourrait dire que le destin de Goriot est inscrit dans la vétusté, le délabrement et le nauséabond du décor ; de même encore, le papier « verni » qui représente les scènes des Aventures de Télémaque annonce le roman d'éducation dont Rastignac va être le héros. La cohérence de la composition est donc exemplaire : sept pensionnaires peuplaient au début du roman ladite pension. À la dernière ligne, aucun n'y habite plus.
Exemplaire est aussi le roman en tant qu'illustration de la méthode balzacienne. « Typiser l'individu » et « individualiser le type », telle est généralement l'ambition de Balzac. Goriot et Vautrin sont ici des incarnations aussi différentes que possible d'un même schéma de force passionnée : le premier est un esclave, le second est un maître. Goriot a gardé de son passé de négociant une grande vigueur physique, qui le rend capable de tordre des couverts de vermeil pour les transformer en lingots. Or cet homme est une faible victime, sans volonté ni intelligence, aveuglément soumis à sa passion pour ses deux filles, une passion quasi amoureuse, qui lui fait vivre une Passion au sens christique du mot. S'il a mérité d'être appelé par Balzac « Christ de la paternité », c'est en effet par le sublime de son sacrifice, non par le véritable amour d'un père pour ses enfants. Il l'avoue : « J'ai bien expié le péché de les trop aimer » ou bien : « Mes filles étaient mon vice à moi, elles étaient mes maîtresses, enfin tout. »
« Tout », le mot se retrouve chez Vautrin, hercule débordant d'énergie vitale : « Je suis tout. » Le forçat évadé, qui « est à lui seul toute la corruption et toute la criminalité », n'avait-il pas pour surnom Trompe-la-Mort ? Ce prédateur, ce révolté indomptable, si souvent diabolique, infernal, est aussi farceur, jovial, doué d'une « grosse gaieté », d'une « volubilité comique ». Quelques années plus tard, Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, qui achèvent le cycle de Vautrin, révéleront le personnage dans toute sa puissante complexité.
Lexixe siècle a produit de nombreux « romans d'éducation ». Avant Le Père Goriot, on citera Le Rouge et le Noir de Stendhal (1830). Chez Balzac lui-même, Illusions perdues (1837-1843), Béatrix (1839-1845), Un début dans la vie (1844). Après Balzac, L'Éducation sentimentale (1869) de Flaubert ; Pot-Bouille (1882) de Zola ; Bel-Ami (1885) de Maupassant.
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Écrit par
- Maurice MÉNARD : professeur émérite à l'université du Maine, Le Mans
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