Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PETIT CHARIOT DE TERRE CUITE LE

Les deux pièces de théâtre indiennes les plus connues en Occident sont Śakuntalā, que Goethe mettait au-dessus des œuvres de Shakespeare, et Le Petit Chariot de terre cuite (Mṛcchakatika), que Gérard de Nerval adapta pour la scène française en 1850. Cette dernière œuvre est tout à fait insolite dans la tradition dramatique sanskrite, d'une part du fait de la personnalité de son auteur supposé, d'autre part en raison de son intrigue (profane) et de la façon dont elle est traitée. L'auteur du Chariot serait un certain Śūdraka, dont il est dit qu'il fut roi et protégea les artistes de son temps, notamment le romancier Dandin. Il est cependant surprenant qu'un homme de basse caste (les śūdras sont au dernier degré de l'échelle sociale hindoue) ait pu régner, sauf en usurpant le trône ; qu'il ait pu apprendre assez de sanskrit pour composer une œuvre de cette ampleur est plus étonnant encore. Mais un épisode du Chariot montre, justement, un simple berger s'emparant du trône après avoir assassiné le souverain légitime et Śūdraka donne le beau rôle dans sa pièce à une prostituée, Vasantasenā, qui est en fait l'héroïne de cette comédie dramatique. De plus, la tradition assure que Dandin aurait mis la main à la rédaction finale du Chariot. Il y a donc quelque vraisemblance à admettre que Śūdraka, qui vivait au ve ou au vie siècle, soit l'auteur d'une telle œuvre. On y voit un marchand en faillite s'éprendre d'une courtisane qu'un prince poursuit de ses assiduités. Repoussé, ce dernier frappe la fille et la laisse pour morte. Il accuse ensuite son rival, le marchand, du meurtre de Vasantasenā. Mal lui en prend, car celle-ci, guérie par un moine bouddhiste, revient pour le confondre. Simultanément, le roi son père est assassiné par un usurpateur et Vasantasenā peut quitter sa profession et épouser le marchand. Tout dans cette pièce est profane : les dieux ne se manifestent jamais, ce qui est en tout point contraire à l'art dramatique hindou tel qu'il se présente dans le texte normatif de ce genre littéraire, le nāṭyaśāstra) de Bharata. Mais c'est évidemment cette singularité qui a fait la fortune du Chariot en Occident : les ressorts de l'action sont, en effet, purement psychologiques (sauf l'événement extérieur que constitue le coup d'État politique), et le cadre familier où se déroule l'intrigue (rues, places, maisons, palais) contribue à donner une résonance moderne à cette pièce. Il n'est pas jusqu'au titre qui ne soit unique en son genre : il se réfère, en effet, à un épisode touchant, celui où Vasantenā, voyant le fils de son amant jouer en pleurant avec un petit chariot de terre cuite alors que son père est sur le point d'être exécuté, lui promet qu'elle sauvera le marchand et lui donnera un jouet en or quand elle aura épousé celui qu'elle aime. Les romantiques européens ont vu dans l'œuvre de Śūdraka une préfiguration du drame shakespearien, mais il est plus juste de dire que le Chariot traduit l'influence de la nouvelle comédie attique, que les Indiens avaient appris à connaître dans les satrapies gréco-iraniennes du nord-ouest de leur pays.

— Jean VARENNE

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Lyon-III

Classification