LE PETIT PRINCE, Antoine de Saint-Exupéry Fiche de lecture

L'innocence perdue

Comme rendu au monde après la rencontre miraculeuse avec ce petit personnage sans âge ni famille, l'aviateur-narrateur trouve sa vérité dans le désert de sable et de silence. L'enfant enseigne à l'adulte la dérision de ces caricatures d'hommes croisés lors de ses voyages, la valeur absolue d'une rose, et comment ne plus songer à la soif ou à la mort. C'est au prix d'une longue marche sous les étoiles avec dans ses bras le petit prince endormi, que les paroles de l'enfant s'éclaircissent : « Comme le petit prince s'endormait, je le pris dans mes bras, et me remis en route. J'étais ému. Il me semblait porter un trésor fragile Il me semblait même qu'il n'y eût rien de plus fragile sur la Terre. » Le désert devient ainsi l'espace où un retour au monde est possible. Le petit prince est apparu sur la terre pour réapprendre à l'homme à regarder les êtres et les choses dans leur authenticité. Désormais, la transparence est permise, l'univers de l'adulte rejoint celui de l'enfant. Si la mort du petit prince marque un terme à cette fusion avec la pureté de l'enfance en chaque homme, elle réalise aussi le rêve où l'être n'est plus que grâce. Mais le petit bonhomme venu d'ailleurs n'a pas sa place dans un monde où sont assassinés chaque jour la poésie, l'amour et le merveilleux.

Dépouillée et lyrique, l'écriture du Petit Prince trouve son rythme dans l'interaction avec les dessins de Saint-Exupéry, en noir et blanc ou en couleurs pastel, discrètes et fragiles, où sont représentés les principaux épisodes du récit. Associées au corps du texte et se superposant à lui, le côtoyant au sein du même espace et modifiant sa disposition dans la page, occupant à elles seules une page entière, ces images font écho à la poésie du texte. Les errances déçues du petit prince, le temps suspendu dans lequel il vit, sa parole transparente, son rôle d'enfant magique sont racontés sur un ton grave et mélancolique, à travers la fusion du texte et des images. L'œuvre dresse sa poésie contre le monde des hommes et leur obsession des chiffres et de la mondanité. Au-delà de ce qui est dit, Saint-Exupéry dénonce le nazisme et le fascisme qui rallient l'aristocratie des aviateurs. Fuyant la « morale des seigneurs », l'écrivain affirme le respect de l'homme ; et si cet humanisme est démodé, c'est alors tous les hommes qui disparaîtront. Poème tragique de l'innocence perdue, hymne à la fraternité et à l'amour, Le Petit Prince pose à sa manière la question pascalienne : qui est l'homme ?