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LE PHÉNOMÈNE ET SON OMBRE et DE LA DÉCENCE ORDINAIRE (B. Bégout) Fiche de lecture

Si tout le mouvement phénoménologique inauguré par Husserl s'est voulu un « retour aux choses mêmes », force est de constater à la suite des travaux de Bruce Bégout que la « réalité quotidienne » ou le « monde de la vie » n'ont pas fait l'objet de recherches systématiques. Ses deux ouvrages, Le Phénomène et son ombre (2007) et De la décence ordinaire (2008) apportent des contributions éclairantes sur la question philosophique de la quotidienneté. « On peut considérer que le phénomène de la vie se donne, pour nous, d'entrée de jeu dans les modes d'être quotidiens et concrets de notre existence. » Que notre vie soit « sans exception quotidienne » n'aura pas été pris en considération par la tradition philosophique qui aura toujours par avance relégué le quotidien dans l'inauthentique, exception faite du courant phénoménologique issu de Husserl et Heidegger ou de penseurs tels que Georg Simmel, Henri Lefebvre, Michel de Certeau… Mais aussi George Orwell qui, mieux que beaucoup, aura su « donner la parole à ceux qui, habituellement, ne l'ont pas et qui se méfient même de la prendre, les exclus et les “sans-voix” de la société ».

Le quotidien, et c'est là un de ses traits majeurs, a l'étrange faculté de toujours se présenter soit sous les dehors familiers d'une vie assurée d'elle-même et de ses bons droits, soit comme une banalité grisâtre, ennuyeuse et à fuir absolument. Dans les deux cas, il ne peut que servir de repoussoir à la pensée philosophique et à ses exigences de radicalité qui le renvoient au dogmatisme de l'opinion ou au « sans intérêt » de la platitude dont il n'y a rien à attendre ou à dire. Descriptions minimalistes et complaisantes, tout comme dénigrements hautains sont récusés. Le quotidien renvoie au « monde de la vie » et le monde est l'horizon à partir duquel et sur lequel toute existence peut prendre sens. Il n'est rien de donné, mais c'est en lui seulement que toute familiarité peut se conquérir. Si le familier du monde quotidien n'est pas donné, c'est qu'il a été conquis sur une étrangeté qu'il a dû domestiquer au fil d'expériences constituant le cours même des jours. Les évidences naturelles obnubilent ce dont elles prétendent témoigner, elles en interdisent l'accès, oubliant les obstacles qui n'apparaissent plus comme ce qu'il aura fallu surmonter. Paradoxalement, on le voit, rien ne va moins de soi que la vie quotidienne qui, cependant, est notre vie même. « Phénoménologie horizontale, profane et critique », les études de Bruce Bégout qui font suite à La Découverte du quotidien (2005) se situent résolument dans une pensée qui ne refuse pas d'affronter l'insolite de ce qui le plus souvent se soustrait au questionnement philosophique ou objectivant.

Les textes réunis dans Le Phénomène et son ombre prolongent ceux qui ont paru en 2007 chez le même éditeur sous le titre L'Enfance du monde, et qui étaient consacrés à Husserl. Ils interrogent la postérité husserlienne concernant la pensée de la vie (Schütz, Patočka, Ricœur…) et « visent à l'élucidation du rapport entre la vie et le monde, entre la production vitale (organique, affective, pratique) et la structure d'expérience qu'est le monde ». Chacun à sa façon, et en fonction de son vécu propre, les penseurs convoqués auront été confrontés aux questions fondamentales posées par l'existence engagée dans des mondes dont la quotidienneté aura été bouleversée. Un thème commun peut les réunir, celui du sens que pourrait encore prendre le monde de la vie alors que les désordres de l'histoire auront dévasté la terre et vidé la notion même de monde de toute signification. La phénoménalité « des conditions mondaines de l'existence humaine » ne se donne jamais comme pure et entière,[...]

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