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LE PIANISTE (R. Polanski)

En mai 2002, lors de sa présentation au festival de Cannes, deux jours avant que le jury ne lui décerne la palme d'or, Le Pianiste, seizième long-métrage de Roman Polanski, avait été accueilli plutôt fraîchement par les critiques français. Quatre mois plus tard, les regards avaient changé, à quelques exceptions près. Plusieurs chroniqueurs s'accordaient pour voir dans le film le couronnement, ou le chef-d'œuvre, de la production polanskienne, le film qui scellait, a posteriori, l'unité de la filmographie longtemps considérée comme disparate du cinéaste polonais.

Le Pianiste s'est construit à partir de l'ouvrage de Wladyslaw Szpilman, publié puis interdit en Pologne en 1946, avant d'être réédité, et immédiatement traduit dans le monde entier, en 1998. Mais le film s'est également nourri de la mémoire personnelle du cinéaste, telle qu'elle apparaît dans la biographie écrite en 1981 par Barbara Leaming, puis dans une autobiographie qu'il a publiée en 1984 sous le titre malicieusement ambigu de Roman. Dans Le Pianiste, Polanski est grave, parce qu'il aborde un sujet grave où il parle aussi à la première personne. « J'ai toujours su qu'un jour je ferais un film sur cette période douloureuse de la Pologne, mais je ne souhaitais pas qu'il soit autobiographique. » Polanski, dans Le Pianiste, ne se raconte pas, il recrée les souvenirs de son enfance. Il délègue la charge de porter cette enfance, sa mémoire et son regard souvent, à un autre plus âgé que lui.

On sait que Polanski, né à Paris en 1933, a vécu l'immédiat avant-guerre et la guerre à Cracovie. Il n'avait pas dix ans quand il a pu s'enfuir seul du ghetto au moment où sa famille juive était déportée. Il a vécu caché dans la ville, puis dans un village voisin. Wladyslaw Szpilman, le héros du Pianiste, également juif, né en 1911, était déjà un musicien connu en 1939. Pendant six ans, il a survécu sans quitter Varsovie, des premières bombes à l'enfermement dans le ghetto, de la révolte de 1943 à l'insurrection de 1944, jusqu'à la destruction de la ville et à l'arrivée des Soviétiques.

En amont du Pianiste, des dizaines de films, de Wajda à Spielberg, avaient affronté la thématique du ghetto et du malheur juif. Avec plus ou moins de tact. Les écueils étaient évidents : d'un côté, l'émotion, le pathos ; de l'autre, les problèmes posés par la nécessaire reconstruction à l'écran des lieux et surtout du destin des êtres. Avec la question récurrente de savoir comment on écrit ou met en scène l'histoire, et tout particulièrement cette histoire-là, qui si souvent frôle l'indicible. Il fallait trouver une forme originale pour, comme le souligne Polanski, « ne pas filmer à la manière de Hollywood ».

Seule concession à la « manière de Hollywood », nécessaire sans doute pour ouvrir le marché international à un film à gros budget : le choix de faire parler l'anglais à ses protagonistes, comme l'avait fait le Hongrois István Szabó il y a trois ans dans son Sunshine qui présente nombre de points communs avec Le Pianiste. Dans les deux cas, probablement parce que la lecture de l'image (et peut-être la musique et les sons) installe d'emblée le spectateur dans une situation où l'Europe centrale est omniprésente, la contrainte de l'anglais s'efface après les premières scènes. D'autant plus facilement, dans Le Pianiste, que le film est tendu et peu dialogué.

C'est donc à la fois en adoptant et en adaptant les souvenirs de Szpilman, en y glissant une part de souvenirs personnels – des scènes du film viennent en ligne directe de son Roman – que Polanski construit sa mémoire des années terribles. Il évoque plus qu'il ne reconstitue. Il construit un dispositif narratif fondé sur la vitesse, qui est propre[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma

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