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LE PRÉLUDE, William Wordsworth Fiche de lecture

L'extase du temps

Centré sur le devenir du poète, sur la problématique unité de la conscience de son moi dans le temps, Le Prélude se partage, non sans tiraillements, entre une ambition épique, dont la prosaïque impersonnalité entend faire contrepoids à la subjectivité romantique, et des aspirations spontanément lyriques. À ce titre, il tient à la fois du journal intime, relatant les événements marquants de la vie de Wordsworth, et du mythe universel.

Se donnant le rôle d'Adam, Wordsworth structure son récit selon un schéma dialectique – vision, perte de la vision, vision retrouvée. En commençant son poème là où s'achevait Le Paradis perdu (1667) de John Milton, il fait plus que rivaliser avec le grand poète chrétien : il relie le mythe de la Chute au passage inéluctable à l'âge adulte. C'est au terme de l'enfance que Wordsworth situe l'émergence de la conscience de soi, laquelle coïncide avec le début de la séparation entre sujet de la perception et objet perçu. Aussi la part belle est-elle faite, parmi les expériences fondatrices, au rappel des exploits physiques accomplis dans l'enfance, lorsque le corps du patineur ou du rameur vibrait à l'unisson de l'âme du monde. S'y ajoute le sentiment exaltant de communier avec une Réelle Présence, immanente à la nature, à l'origine du mysticisme naturaliste de Wordsworth. Le vocabulaire dominant y est organique, la maturation de l'être s'opérant au contact d'une nature nourricière, qui ne craint pas de faire concurrence à l'imagination dans son rôle de gardienne des valeurs. Le poète pratique l'introspection ainsi que le retour sur le passé, qui nourrit et enrichit le présent. Par le truchement de la mémoire, le poète retrouve, comme chez Marcel Proust plus tard, des moments privilégiés, échappés au temps. En ces instants extatiques, l'activisme du visionnaire s'abolit, de même que sa conscience corporelle, au profit d'une sérénité qualifiée de « sage passivité », à l'origine de vraies révélations. Quant à l'intensité de la vision initiale, elle se voit « enchâssée », dans l'espoir de la voir « revivre un jour ».

Écrit en vers blancs, dans une langue simple mais souvent inspirée, Le Prélude est une œuvre qui sait se garder du péril narcissique. Elle parle à l'imaginaire et aux émotions du lecteur, par la grâce d'images (l'eau claire et profonde, la « brise correspondante ») qu'on jurerait inspirées de la psychologie des profondeurs. C'est une des raisons qui font du Prélude l'œuvre maîtresse du romantisme anglais.

— Marc PORÉE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Média

Wordsworth - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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