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LE PREMIER VENU (J. Doillon)

Depuis Raja, tourné au Maroc durant l'été de 2002, de graves difficultés de production avaient interrompu – après vingt-cinq longs-métrages – l'œuvre de Jacques Doillon, un des auteurs les plus intéressants de la génération 70 (La Drôlesse, 1978 ; La Fille prodigue, 1980 ; La Vie de famille, 1984 ; La Fille de quinze ans, 1989 ; Ponette, 1996...). Le Premier venu (2008) montre à nouveau quel talent est le sien dans la création de récits, de formes et de personnages originaux esquissés dès l'écriture mais surtout élaborés lors du tournage, au cœur même des opérations de mise en scène et de direction d'acteurs. La fraîcheur de ce retour à l'écran éclate donc avec une vigueur réjouissante dans le cinéma français d'aujourd'hui.

Il s'agit en fait d'un double retour, puisque Costa, le « premier venu », est incarné par Gérald Thomassin, interprète il y a dix-sept ans du Petit Criminel (1990). Et, comme dans ce film, on verra cette fois encore un policier peu conventionnel, Cyril (Guillaume Saurel qui jouait les voyous dans Carrément à l'ouest, 2000), s'immiscer dans le duo amoureux un peu foutraque qui se forme dès la descente du train dans une petite gare déserte de Picardie. D'entrée, Jacques Doillon nous embarque dans une course poursuite plutôt cocasse : Camille (Clémentine Beaugrand dans son premier rôle à l'écran), la bourgeoise parisienne, colle aux basques de Costa, le mauvais garçon de la province profonde. Le décalage social est à l'image de celui des milieux géographiques décrits. Mais le cinéaste ne filme pas les contrastes, préférant enregistrer l'immersion totale de Camille dans le quart monde marécageux de Costa – l’espace plat, ouvert et vide de la baie de Somme bordée d'anciens abris aménagés pour la traque du gibier d'eau. Lui a ses repères dans les rues du Crotoy, les chemins de traverse, les plages hivernales et les bunkers devenus des caches pour des contrevenants en cavale ; il pourrait même y retrouver ses attaches s'il n'avait en réalité fui depuis longtemps père, compagne et fillette. Sérénade interrompue (pour reprendre le titre du prélude de Claude Debussy qui ponctue et donne leurs couleurs aux quatre jours de l'action), l'étrange aventure est celle d'un homme sans qualités et surexcité, transformé en authentique personnage par le regard de la jeune femme qui a décidé d'aimer justement ce premier venu, de le reconstruire par ses insistantes initiatives. Doillon propose donc une double approche de Costa : directement, il inspire plutôt la crainte et le rejet au spectateur. Mais, montré à travers la subjectivité de Camille, il devient touchant parce qu'observé avec une intensité qui le dote d'une véritable énergie. Pourtant, à un certain moment, Camille prendra conscience que cette reconstitution doit passer, dans l'histoire individuelle de Costa, par le retour à son enfant et à sa mère, qu'il a abandonnés. Dès lors, le rôle de l'héroïne est terminé. Il lui faut s'effacer.

À l'image de la petite Suédoise des Doigts dans la tête (1971), Camille agit en révélateur psychologique. Elle fournit l'élément moteur du récit tout en demeurant personnellement assez insaisissable, comme si le réalisateur ne parvenait pas à faire le point sur elle. Au début du film, Costa bouge tout le temps ; puis, à mesure que le désir de Camille devient plus clair, c'est elle qui enclenche le mouvement. Mais elle expérimente en jouant avec le feu, à la manière de la protagoniste de La Tentation d'Isabelle (1985) qui, elle aussi, n'était pas certaine de pouvoir maîtriser les situations provoquées. De fait, l'épisode du braquage de l'agent immobilier marque le moment du dérapage, du basculement dans le fait divers et du passage à la délinquance, une fois[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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