LE PRINCE, Nicolas Machiavel Fiche de lecture
La vertu et la république
Si Machiavel donne un statut essentiel au concept de vertu dans le dispositif théorique du Prince, l'exemple romain, au-delà de ses références humanistes, n'est jamais un modèle figé – fait d'austérité et de simplicité – qui échapperait aux aléas des temps. La vertu machiavélienne choisit de se déployer au croisement d'une proposition de réforme de la république, dans laquelle les nouveaux « ordres bons » sont porteurs de vertu civile et militaire chez tout citoyen, et d'une compréhension de l'occasion qui appelle l'acte de rupture singulier, illustrant la vertu du prince. L'action individuelle de celui qui saisit l'occasion de « culbuter » la fortune est ainsi indissociable de la volonté d'instaurer des institutions qui puissent garantir la diffusion de la vertu. L'intervention héroïque du prince nouveau, comme la dictature provisoire des Anciens, devient alors un moyen ponctuel d'échapper au cercle infernal de la corruption qui menace la cité.
En articulant état d'urgence et réforme, dépassement des erreurs du passé proche et espoir d'un nouvel ordre à venir, la virtú machiavélienne devient ce qui permet à l'homme de résister à la fortuna. Dès lors que la fortune est déploiement de la violence – celle de la guerre extérieure comme celle des conflits intérieurs –, Machiavel entend donner au citoyen une possibilité de marquer sa place et d'agir dans les bouleversements de l'Histoire, bref de la repolitiser.
Il est courant de voir dans la figure de Machiavel, y compris dans l'interprétation qu'en donne le théâtre élisabéthain, l'image même de la coupure avec une attitude morale, une coupure qui inaugurerait la « modernité ». Pourtant, ce qui se joue dans ce rapport des temps et des hommes concerne l'éthique. C'est l'exhortation finale du Prince à « libérer l'Italie des barbares » qui donne un sens à l'ouvrage et fait de la « rédemption » de l'Italie son véritable enjeu. Le sujet de cette rédemption sera le prince nouveau et « vertueux » qui pourra arrêter le cycle de la « corruption » : « Et rien ne fait plus d'honneur à un homme qui se dresse nouvellement que ne le font les nouvelles lois et les nouveaux ordres trouvés par lui : ces choses-là, quand elles sont bien fondées et qu'elles ont en elles de la grandeur le font digne de révérence et d'admiration. Et en Italie, il ne manque pas de matière permettant d'introduire toutes les formes. » Machiavel assume le risque de l'échec, mais à la condition de combattre jusqu'au bout pour tenter de sauver l'essentiel : l'existence même de Florence, la liberté de cette « pauvre Italie ».
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Écrit par
- Jean-Louis FOURNEL : professeur au département d'études italiennes de l'université de Paris-VIII, Vincennes-St-Denis
- Jean-Claude ZANCARINI : Maître de conférences à l'École normale supérieure des Lettres et sciences humaines, Lyon
Classification
Média
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