LE PROBLÈME DES OBJETS DANS LA PENSÉE MATHÉMATIQUE (M. Caveing)
Qu'est-ce qu'un « objet mathématique » ? Depuis l'Antiquité, cette importante question d'épistémologie mathématique et quelques autres qui lui sont liées (les objets mathématiques ont-ils une existence propre, préalable à tout travail mathématique, ou non ? sont-ils découverts ou inventés ?) sont débattues. Maurice Caveing, directeur de recherche honoraire au Centre national de la recherche scientifique, y répond au terme d'une argumentation approfondie (Le Problème des objets dans la pensée mathématique, Vrin, Paris, 2004).
S'appuyant sur les travaux de Jean-Toussaint Desanti (1914-2002), « en tant qu'initiateur de la méthode de description phénoménologique et d'analyse épistémologique des idéalités mathématiques », Maurice Caveing illustre son raisonnement de nombreux exemples, tant algébriques que géométriques.
L'activité des mathématiciens consiste essentiellement « à résoudre des problèmes et à démontrer des théorèmes », de sorte que la mathématique (l'auteur emploie indifféremment le singulier ou le pluriel) apparaît d'abord comme « une pensée opératoire ».
Son histoire fournit de nombreux exemples de « dépassement d'une règle » par un double mouvement de thématisation husserlienne, c'est-à-dire de transformation intentionnelle d'une entité potentielle du champ de conscience en objet central d'une visée explicite, et d'idéalisation au sens de Jean Cavaillès (1903-1944), c'est-à-dire de processus transformant portant d'abord sur des opérations. Ainsi en est-il de l'introduction du point à l'infini et de l'idéalisation de la projection centrale par Girard Desargues (1591-1661), qui établit en 1639 les fondements de la géométrie projective : dans celle-ci, la projection centrale peut se faire à partir du point à l'infini, dépassant la règle de la géométrie euclidienne selon laquelle des droites parallèles ne peuvent former un faisceau. L'automouvement historique de la mathématique étend son domaine et définit des structures, construisant ainsi un édifice abstrait dans lequel l'apparition d'objets mathématiques situés à différents paliers d'abstraction peut être datée.
Ces objets mathématiques, c'est-à-dire ces entités abstraites que définit et étudie la mathématique, ne sont des « objets » ni aux sens usuels ni au sens philosophique d'objets de conscience, et l'auteur les désigne provisoirement par l'expression « M-objets ». Un M-objet est une idéalité, c'est-à-dire, selon Desanti, « un „être“ qui n'est jamais offert par sa simple présence, mais par la médiation du système réglé des désignations qui permettent d'en disposer », et n'a d'existence qu'intrathéorique.
L'objectivité de la connaissance mathématique a pour symptôme son universalité, et celle-ci est triple : omniculturelle, omnitemporelle progressive et omnisubjective.
L'universalité omniculturelle de la mathématique découle des propriétés des idéalités mathématiques, valables de manière universelle et nécessaire ; les représentations de ces idéalités peuvent, elles, prendre des formes variées, ethnoculturellement marquées et étudiables par une approche ethnomathématique : ainsi faut-il, par exemple, distinguer entre l'idéalité « nombre entier naturel n » et une représentation, orale, gestuelle, écrite ou autre, dépendant d'un système de numération, de ce nombre.
L'omnitemporalité se décompose en deux : omnitemporalité progressive ou « à droite » (en représentant le temps par une flèche orientée de gauche à droite) et omnitemporalité régressive ou « à gauche ». Un M-objet défini, ou un théorème démontré, au temps t, reste valable en tout temps ultérieur, même s'il peut s'enrichir de[...]
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Écrit par
- Jean-Marie PRUVOST-BEAURAIN : diplômé en sciences de l'éducation, mathématique, économie, philosophie, ethnologie et bibliothéconomie
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