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LE PROCÈS DES DROITS DE L'HOMME. GÉNÉALOGIE DU SCEPTICISME DÉMOCRATIQUE (J. Lacroix et J.-Y. Planchère)

Quelle place devrait avoir la référence aux droits de l’homme dans une politique progressiste et démocratique ? Cette question constitue l’arrière-plan des analyses du livre, riche et stimulant, de Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère, Le Procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique (Paris, Seuil, 2016).

Celui-ci s’ouvre sur le constat selon lequel, dans les démocraties libérales contemporaines, et en France en particulier, les droits de l’homme font, depuis plusieurs décennies, l’objet de critiques multiples. Bien qu’elles proviennent de différents lieux du champ académique et politique, ces critiques peuvent se recouper et mettent en question les effets des droits de l’homme sur l’ordre social, la dynamique d’individualisation illimitée dont ils seraient le vecteur, enfin les effets dépolitisants voire normalisants du langage qui leur est propre. Tout en se montrant attentifs aux réserves dont s’accompagne parfois la référence aux droits de l’homme, Lacroix et Pranchère entendent ici réhabiliter ces derniers et, en s’inspirant du travail d’Hannah Arendt, en défendre une conception politique. Ce travail de réhabilitation ne constitue cependant que le terme d’une argumentation qui s’ouvre sur une cartographie des critiques contemporaines et se prolonge avec une enquête généalogique portant sur les critiques classiques qui ont été adressées aux droits de l’homme depuis les Déclarations de 1776 et de 1789.

La critique contemporaine des droits de l’homme

La critique « antimoderne » contemporaine se caractérise par son refus radical de l’idée même de droits subjectifs et se divise en deux branches : l’une, d’inspiration religieuse (John Milbank, Alasdair MacIntyre), considère les droits de l’homme et le libéralisme comme le produit d’une « théologie décadente » qui aurait perdu de vue le fait que la dignité de la créature s’adosse au rapport de dépendance qui la lie à son Créateur. L’autre, inspirée de Carl Schmitt et qu’illustrent les positions de Julien Freund ou d’Alain de Benoist, soutient que le sacre des droits de l’homme signe la fin du politique et la victoire d’une conception de la société comme collection d’individus séparés et désincarnés poursuivant chacun leur intérêt rationnel.

La critique « communautaire » n’est pas étrangère à ces thèmes, mais les orchestre de façon différente. En effet, elle remet moins en cause les droits de l’homme en tant que tels que le primat qu’ils ont acquis dans les sociétés contemporaines à l’égard d’autres biens également désirables. La première variante de cette position, d’origine américaine et portée par le courant « communautarien », déplore l’oubli de l’importance de l’appartenance à une communauté de valeurs et de significations partagées. La seconde, française et à l’œuvre chez Marcel Gauchet ou Pierre Manent, soutient que la multiplication récente des demandes de droits atteste d’une sacralisation de l’individu qui menace la cohésion démocratique.

Les auteurs repèrent enfin une critique « radicale », inspirée du jeune Marx et de Foucault, dans les travaux d’Alain Badiou et Wendy Brown notamment. Cette dernière soutient que le discours des droits de l’homme est « porteur d’une vision appauvrie de l’émancipation », qui vise uniquement à protéger les libertés formelles des individus de toute atteinte de la part de l’État. Les droits de l’homme constituent alors « les préconditions d’un marché libre ». Dans cette perspective, leur défense favorise l’expansion capitaliste et contribue à masquer les logiques d’oppression et de domination qui structurent les sociétés libérales contemporaines.

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Écrit par

  • : docteure en philosophie, chercheuse rattachée au laboratoire SOPHIAPOL, université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense

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