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LE PROCÈS, Franz Kafka Fiche de lecture

Une écriture de l'indéchiffrable

Ce pouvoir de vie et de mort qui fait irruption dans l'existence de K. et contre lequel nulle résistance humaine ne se révèle efficace est-il une force transcendante à la société ? Le Procès reprend-il la tradition séculaire de la satire et de la mise en question de la justice inique, corrompue et parfois même criminelle ? Ou bien s'agit-il, comme chez Dostoïevski, d'une réflexion théologique sur la Loi, la faute et le sens de la vie après la mort de Dieu ? Ou bien n'était-ce qu'un cauchemar, un fantasme, un délire de persécution, l'histoire de l'autodestruction d'un grand névrosé ? Les interprétations psychanalytiques du Procès abondent et le texte paraît les solliciter, tant l'action suit la logique du rêve, tant abondent les figures du désir et de la conquête érotique (Mlle Bürstner, la femme de l'employé du tribunal, Leni, la servante du juge Huld) qui se transforment en autant de figures d'une sexualité redoutée.

Le chapitre intitulé « Dans la cathédrale », à la fin du roman, renforce l'hypothèse théologique. C'est l'aumônier des prisons qui raconte à K. la parabole « Devant la Loi » qui commence ainsi : « Devant la porte de la Loi se tient un gardien. Ce gardien voit arriver un homme de la campagne qui sollicite accès à la Loi. Mais le gardien dit qu'il ne peut le laisser entrer maintenant. » À la fin de cette parabole, l'homme venu de la campagne est arrivé au terme de son existence. « Le gardien se rend compte alors que c'est la fin et, pour frapper encore son oreille affaiblie, il hurle : „Personne d'autre n'avait le droit d'entrer par ici, car cette porte t'était destinée, à toi seul. Maintenant je pars et je vais la fermer“. » Dieu attend l'homme, mais reste inaccessible à ceux qui ne le trouvent pas d'emblée. À moins que Dieu n'existe que dans la recherche et l'attente des hommes ? La Loi n'est possédée ni interdite par aucun gardien, dans aucun temple. Elle se trouve sous nos yeux, en nous-mêmes peut-être. À moins que la Loi n'existe pas ailleurs que dans le psychisme ? À moins que derrière la porte que referme la mort ne se cache que le néant ?

On pressent que Le Procès est un roman consacré à la « faute » de K., à son innocence ou à sa culpabilité. Mais il aborde aussi les thèmes du péché et du salut, celui de la quête du sens de l'existence. Il touche aussi à la question de l'interprétation : comment interpréter les signes, les mots, les gestes, les symboles et les paraboles ? K. est un homme qui croit comprendre et se trompe constamment. Or chaque erreur le conduit un peu plus loin dans le péril, un peu plus près du verdict fatal. « L'existentialisme » de Kafka résume le monde et l'existence à un système de signes que plus personne ne sait interpréter. Le génie de l'écrivain aura consisté à faire de son écriture littéraire le miroir de ce système indéchiffrable. Son texte fait sens. Mais aucune interprétation n'est assurée d'en avoir trouvé la clef – ni la loi.

Et si l'essentiel n'était à chercher ni dans les profondeurs psychiques ni dans les hauteurs métaphysiques, mais dans la réalité sociale décrite au fil du Procès, avec un humour corrosif et un sens du portrait-charge qui font de Kafka le grand caricaturiste, le « Daumier » du juge et du policier de la monarchie habsbourgeoise, minée par l'égoïsme des classes dirigeantes et les passions nationalistes ou antisémites ? « Comment est-il possible qu'à Prague les romans de Kafka se confondent avec la vie, et comment est-il possible qu'à Paris les mêmes romans soient perçus comme l'expression hermétique du monde exclusivement subjectif de l'auteur ? », se demandait Milan Kundera[...]

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<em>Procès</em>, d’après F. Kafka, mise en scène de K. Lupa - crédits : Natalia Kabanow © Nowy Teatr

Procès, d’après F. Kafka, mise en scène de K. Lupa

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