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LE QUATRIÈME SIÈCLE, Édouard Glissant Fiche de lecture

L'esclave et le marron

L'essentiel de l'action romanesque procède de la situation coloniale et de l'opposition du maître et de l'esclave. Mais le romancier décale subtilement l'habituelle dialectique en introduisant un troisième terme : le marron, c'est-à-dire l'esclave fugitif et révolté (« C'était la coutume de menacer les enfants de les faire enlever par un marron. Car le marron était pour les populations la personnification du diable : celui qui refuse. ») C'est même la relation entre le marron et l'esclave demeuré dans l'habitation qui commande toute l'architecture du roman.

Cette opposition s'incarne à travers deux lignées, celle des Longoué, qui descendent d'un ancêtre marron, échappé dès que débarqué du bateau négrier, en 1788, et celle des Béluse, vendus et installés dans la propriété Senglis. Au fil des générations, des contacts et des échanges se nouent entre ceux qui, restés à la plantation, subirent l'esclavage dans leur corps et leur esprit, et ceux qui marronnèrent sur les mornes, dans la liberté des bois. Quelques épisodes, fortement symboliques, prennent une dimension mythique : le rapt par le premier Longoué, le « Marron primordial », d'une esclave dont il fait sa femme ; le face-à-face viril du marron, sa machette en évidence sur la cuisse, et du béké, le grand propriétaire blanc ; l'abolition de l'esclavage en 1848 et l'imposition d'un état civil aux esclaves devenus citoyens...

Le fil conducteur du roman est fourni par un dialogue entre le vieux Papa Longoué – le descendant des marrons, aujourd'hui « quimboiseur », c'est-à-dire guérisseur, héritier d'une culture sauvage et africaine – et Mathieu Béluse, l'intellectuel moderne. Le vieillard et le jeune homme incarnent deux formes de la contestation culturelle de l'ordre colonial antillais. Optimiste, le roman semble annoncer dans leur dialogue une synthèse réunissant les deux lignées, les deux versants de la sensibilité des Antillais.

Dès sa sortie, Le Quatrième Siècle a été situé dans une filiation faulknérienne. Le point de vue est pertinent : dans son essai Faulkner, Mississippi (1996), Glissant a souligné à quel point il avait médité l'écrivain américain. L'ambition épique a frappé les premiers lecteurs, tout comme le souffle de l'écriture, son phrasé à la Saint-John Perse et ses subtiles inflexions créoles.

Le roman est bien la mise en acte d'une pensée qui s'amplifiera et se popularisera à travers les notions d'« antillanité » puis de « créolisation ». Dès Le Quatrième Siècle, Glissant montre que les Antilles sont un creuset de civilisations, le foyer ardent d'un fécond métissage culturel.

— Jean-Louis JOUBERT

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Média

Édouard Glissant - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Édouard Glissant