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LE RABAISSEMENT (P. Roth) Fiche de lecture

À l'ouverture du roman de Philip Roth, Le Rabaissement (trad. M. C. Pasquier, Gallimard, 2011), la magie s'est éteinte et le déclin s'installe : comédien de grand renom, Simon Axler est en panne de jeu. Non qu'il ne soit plus sollicité – on le presse d'accepter le rôle tourmenté de Tyrone dans Le Long Voyage vers la nuit – mais c'est encore là une image de sa propre infortune, une suprême ironie dramatique. Après avoir connu une débâcle sur scène, l'acteur fait l'expérience d'un trac qui bouleverse tout son être et, à la soixantaine sonnée, le doute s'empare de lui. Le roman va dérouler une double méditation sur le théâtre de la vie et les sept âges de l'homme. Tandis que son épouse Victoria s'en va sur la côte ouest, Simon rencontre Sybil à l'hôpital psychiatrique où la dépression l'a conduit. Simple humain isolé dans sa campagne, tout comme Roth dans son domaine du Connecticut, interprète désormais privé des ovations du public, il fait le triste constat du vieillissement et réfléchit au mensonge, à l'imposture, à ces transformations qui ont fait toute sa vie à la scène. Il a campé un mémorable Othello, il a été Falstaff et Oncle Vania, tout comme le Baladin du monde occidental, son itinéraire a charrié tous les grands thèmes de la tragédie, a fait vibrer la vieillesse et la mort, la folie et le suicide, la solitude et l'abandon. Tout cela, il faut désormais le vivre au quotidien et sans gloire. Le Rabaissement reprend ces thèmes en mineur, mais les double d'un exubérant hymne à la vie, au sexe et au bonheur tardif.

Philip Roth, qui, à vingt ans, faisait des recherches théâtrales dans un programme de la fondation Ford, joue très bien de ce va-et-vient entre le récit et le théâtre, invitant le répertoire classique par touches légères, découpant une année en trois actes. C'est d'abord la disparition dans les limbes à la manière de Prospero, puis la transformation où Simon métamorphose sa compagne Pegeen, offrant à ce garçon manqué habits sublimes, parures et chevelure, si bien que la jolie lesbienne féminisée s'épanouit dans son lit. Incapable de jouer sur scène, Simon Axler joue son va-tout chez lui, dans sa chambre, avec Pegeen qui cherche un homme, qui vient vivre une parenthèse pour s'éloigner d'une compagne jalouse et retrouver la paix auprès du vieil ami de ses parents. Quant au dernier acte, il s'achève dans la veine de La Mouette et du suicide du héros romantique Konstantin Gavrilovitch. Il y a de la virtuosité dans les recoupements littéraires, une jubilation du corps et de l'esprit, un appétit de transgression, un désir de vivre, d'aimer toujours. Bref, Roth est là et bien là, avec sa belle écriture fluide et déliée, l'intelligence de sa composition, l'éloge de l'indécence, l'apologie du plaisir. Il s'amuse sans tabou : on sort à l'occasion les accessoires de l'érotisme, on trouve une comparse d'appoint, mais rien n'est graveleux. Roth, libéré de la honte depuis Portnoy, sait montrer une tendresse bienveillante pour les inventions du plaisir, pour la remontée de la sève chez l'homme vieillissant qui rêve de reconstruire la vie, voire de donner de nouvelles naissances, de concevoir encore.

Nul n'échappe à l'émotion et au trouble en lisant ce petit traité de l'humiliation mal vécue, de la modestie malgré soi, plein de mélancolie et de drôlerie. Paru à l'automne 2009 aux États-Unis, Le Rabaissement est le trentième livre de Roth et sa brièveté a parfois déçu, son intimisme aussi qui n'a pas l'ambition d'une pastorale américaine. Pourtant Roth étonne toujours grâce à son art de divertir à partir de l'infinie tristesse, au fil du déclin de l'homme sensuel et libertin dans son univers clos. Le roman reste en mémoire et[...]

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