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LE RETOUR (mise en scène L. Bondy)

Un auteur qui « ramène le théâtre à sa base élémentaire, la pièce close et le dialogue imprévisible, où les êtres sont livrés les uns aux autres, et où le déguisement se brise. Avec un minimum d’intrigue, le drame surgit de la lutte et du cache-cache dans la confrontation verbale…».

C’est par ces mots que l’Académie suédoise a salué Harold Pinter en lui attribuant le prix Nobel de littérature, le 13 octobre 2005. Une récompense aussi méritée que tardive. Sans doute, avec le temps, cet auteur contestataire, issu de la génération anglaise des « jeunes gens en colère » des années 1950 (celle des Wesker, Osborne, Arden…), avait vu son image s’assagir, tandis qu’il passait du statut d’auteur « révolutionnaire » à celui d’auteur « classique ». Son écriture, caractérisée par son refus des codes traditionnels, avait fini par être récupérée par un théâtre bourgeois, sinon boulevardier.

Le retour de l’enfant prodigue

À la tête depuis mars 2012 de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris, Luc Bondy a choisi Le Retour pour inaugurer son mandat. Il rappelle ainsi la force scandaleuse d’un dramaturge capable de bousculer toute notion de bienséance et de mettre à nu les rapports inavouables de séduction et de répulsion, de soumission et de domination qui s’installent entre les êtres.

<it>Le Retour</it> de Harold Pinter, mise en scène de Luc Bondy - crédits : R. Waltz/ Theâtre de l'Odéon

Le Retour de Harold Pinter, mise en scène de Luc Bondy

Créé à Londres en 1965, trois ans après l’écriture du scénario de The Servant (film de Joseph Losey), Le Retour est révélé un an plus tard à Paris par la mise en scène de Claude Régy avec Emmanuelle Riva, Pierre Brasseur et Claude Rich, dans les rôles principaux. Inscrite en 2000 au répertoire de la Comédie-Française, la pièce raconte les retrouvailles avec sa famille de Teddy, un universitaire parti aux États-Unis enseigner la philosophie. Face à lui, il y a Max, son père, veuf et ancien boucher ; ses frères cadets, Joey, le boxeur, et Lenny, vivant de débrouille, peut-être maquereau ; Sam, l’oncle célibataire et chauffeur de taxi devenu chauffeur à la journée. Personnages ternes, aux vies sans relief, restés confinés dans leur vieille maison du West-End à Londres, ils évoquent par à-coups la disparition de la mère, Jessie, sans que l’on sache, à les entendre, si elle fut « sainte » ou « garce ».

Mais voilà que Teddy, débarqué en pleine nuit, sans prévenir, est accompagné de Ruth, sa femme, qui lui a donné trois enfants restés aux États-Unis. Dans un univers aussi clos, sa présence réveille les désirs et les frustrations. Peu à peu, un trouble ballet se met en place jusqu’à s’emballer. Insaisissable et sensuelle, Ruth aguiche, s’abandonne à chacun, se reprend sous les yeux de son mari impassible. Lorsque Max lui propose de demeurer avec lui et sa « meute » dans la maison et de se prostituer, elle accepte. Teddy se résigne et rentre, seul, retrouver leurs enfants en Amérique. Que faut-il en conclure ?

Luc Bondy ne donne pas de réponse. Il choisit de préserver l’ambiguïté d’une œuvre transgressant toutes les valeurs au point de provoquer le malaise chez le spectateur. S’appuyant sur une nouvelle traduction rapide et nerveuse de Philippe Djian, sa mise en scène joue la carte d’un vague réalisme (un intérieur de grande maison à moitié vide, éclairée d’une lumière froide, sans nuances), comme pour mieux nous entraîner, à partir de cette banalité, vers des terres inconnues que l’on n’aurait jamais osé imaginer. Des terres sans morale ni norme, habitées d’êtres perclus de solitude, n’ayant rien à se dire, obéissant à leurs pulsions et à leur inconscient. Mais sans cris ni violence. Avec un naturel qui place au même niveau échanges pervers et réflexions triviales sur le réfrigérateur, un sandwich ou le temps qu’il fait aux États-Unis.

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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Média

<it>Le Retour</it> de Harold Pinter, mise en scène de Luc Bondy - crédits : R. Waltz/ Theâtre de l'Odéon

Le Retour de Harold Pinter, mise en scène de Luc Bondy