Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE RETOUR (A. Zviaguintsev)

Lion d'or au festival de Venise 2003, Le Retour montre le grand talent du cinéaste russe Andreï Zviaguintsev et atteste la maîtrise d'une écriture cinématographique rarement observée dans un premier film. D'une tonalité proche du conte, ce film met en scène avec une remarquable puissance de suggestion les relations père-fils.

Parce que leur père (Konstantin Lavronenko) a quitté le foyer, il y a bien longtemps, Andreï, quinze ans (Vladimir Garine), et Ivan, onze ans (Ivan Dobronrakov), n'ont été élevés que par leur mère. Voici qu'il revient après une absence de douze ans sans que nous ne sachions rien des raisons de son départ et de son retour. Une voiture rouge, garée devant l'humble maison où vivent les enfants, atteste le retour d'un « revenant ». Les enfants n'en croient pas leurs yeux : un homme endormi est étendu, à demi nu, sur le lit de la chambre des parents, et montré dans une perspective qui évoque La Lamentation sur le Christ mort d'Andrea Mantegna. Mais, est-ce bien leur père ? Ils montent au grenier et feuillettent un gros livre de figures religieuses. Glissée entre les pages, ils retrouvent une très ancienne photographie de leur famille où l'on discerne le visage de leur père. « C'est bien lui », dit Andreï, tandis qu'Ivan est plus dubitatif. Le lendemain matin, le père emmène les deux garçons dans sa voiture pour un voyage dont la destination est une île peu fréquentée où ils pourront pêcher.

Le véritable dessein du père semble l'éducation des deux enfants. Le voyage se déroule en sept jours – du dimanche au samedi –, comme le consigne une sorte de journal de bord alternativement tenu sur un carnet par les deux garçons. Il s'insère dans un décor nordique froid et sombre qui s'étend de Saint-Pétersbourg à la frontière de la Finlande, au milieu d'une nature qui se révèle à la fois lieu de joie (la pêche dans le lac Ladoga), espace de désolation (les ruines, l'épave du bateau abandonné) et surtout terrain d'épreuves à surmonter. Très vite, « l'échappée belle » se transforme en voyage d'initiation, marqué par la pluie et le froid, où l'autorité montrée par le père ne rend que plus énigmatique sa présence devant eux.

Cette « pédagogie » s'exprime parfois avec une telle violence (dans l'île, constatant le grand retard par rapport à l'horaire prévu des enfants partis pêcher en barque le « revenant » punit Andreï en le giflant et le menace avec une hache) que les enfants se demandent s'il s'agit bien de leur père, ou d'un « assassin » en puissance, comme le suggère Ivan. Après une aussi longue absence, que veut faire le père de ce temps qu'il passe avec ses enfants ? Veut-il les éduquer ? Peut-être, mais sans prendre le temps de les aimer, ni de leur témoigner de l'affection. Le Retour pose ainsi avec force la problématique des liens qu'il convient de nouer entre autorité et amour dans les relations père-fils. « Fiston » : le seul mot de tendresse lancé par le père à Ivan n'empêchera pas le récit de se refermer sur une issue tragique. Comme si le rapprochement entre les enfants et leur père ne devait s'observer in fine, qu'au contact de la mort. L'itinéraire de l'intrigue, affirme le cinéaste, épouse « l'incarnation métaphysique du mouvement de l'âme de la mère au père. »

La thématique du Retour s'inscrit dans une esthétique d'une grande justesse de ton. Discernable dès l'ouverture du récit, avec la surface du lac et la tourelle dont la structure métallique débouche sur une plate-forme en bois d'où les enfants sautent, la double composition horizontale et verticale des plans se retrouve au fil des séquences. En témoigne, en particulier, le magnifique plan d'ensemble qui nous fait contempler[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma

Classification