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LE RÉVIZOR et L'INSPECTEUR GÉNÉRAL (N. Gogol)

Rien de plus comique que le Révizor de Nicolas Gogol (1836), trônant au sommet du patrimoine théâtral russe. Mais aussi, rien de plus politique que cette fable de la corruption, en des temps où les classes dirigeantes doivent soutenir le siège de la suspicion généralisée. Rien de plus métaphysique, enfin, que cette ironique parabole où l'imposture démasque le mensonge et où les coupables rachètent leurs péchés de si bonne grâce qu'on les dirait soumis au châtiment comme à une délivrance.

L'intrigue du Révizor s'articule sur un quiproquo. Dans une bourgade russe du xixe siècle, où règne une corruption institutionnalisée, le bourgmestre et les notables attendent la venue d'un envoyé du tsar chargé d'inspecter les administrations locales. Prenant par erreur Khlestakov, un jeune voyageur endetté, pour le redouté fonctionnaire, tous le soudoient et se plient à ses caprices grandissants, avant que ne survienne le véritable révizor.

Jean-Louis Benoit à la Comédie-Française et Matthias Langhoff au T.N.B. de Rennes, puis aux Amandiers de Nanterre, ont donné de l'œuvre de Gogol deux visions contrastées, illustrant leur conception du grotesque : la première privilégiant la charge outrancière ; la seconde déformant le réel pour en faire surgir l'agencement latent, et jouant de la tension des contraires dans un parcours transversal de l'histoire contemporaine et des formes esthétiques.

C'est par la farce que Jean-Louis Benoit, utilisant le texte traduit en 1988 par André Markowicz, traite l'univers gogolien. Les intérieurs d'Alain Chambon ménagent d'ingénieux espaces de jeu, de la chambre d'hôtel miteuse et exiguë, où le maître et le valet s'échangent le lit et le hamac qui le surplombe dangereusement, au salon du gouverneur, avec ses fenêtres en fond de scène derrière lesquelles se masse le peuple. Le dispositif souligne une théâtralité affirmée : les fonctionnaires entrant au premier acte traversent un rideau ; un poêle imposant gagné par la démence ambiante entame une course effrénée. Au final, la fille du bourgmestre (Coraly Zahonero) décapite les édiles figés dans une lumière de sépulcre, et ramenés à leur dimension de pantins.

Denis Podalydès campe Khlestakov en feu follet grisé de sa chance insolente. Coraly Zahonero recourt à une gestuelle d'une raideur mécanique. Roland Bertin (le bourgmestre) déplace son ventre avec peine et fait tonner sa voix grasseyante dans une terrible allocution finale tendue comme un miroir au public.

Jean-Louis Benoit a privilégié les compositions de groupe, la galerie de portraits, projetant les clichés du décorum russifiant (chapkas et pelisses) sur la technique de la caricature à la française, pointant des symptômes sociaux chers à Labiche (l'opposition province-capitale, la fascination du bourgeois pour l'artiste). Les personnages, fardés, affublés de larges favoris ou de toupets proéminents, apparaissent comme les figures animées d'un dessin de Daumier. Baudelaire, dès 1857 dans Le Présent, louait les vertus de la caricature, « prodigieuse comédie satanique, tantôt bouffonne, tantôt sanglante, où défilent, affublés de costumes variés et grotesques, toutes les honorabilités politiques ».

Matthias Langhoff, lui, a situé son spectacle dans la lignée de Meyerhold. En 1926, celui-ci élabora pour le Révizor un espace semi-circulaire découpé en sous-lieux, où prenaient place des séquences indépendantes et jouées simultanément. Mais la référence se prolonge chez Langhoff par un hommage au constructivisme. Au centre du plateau se dresse une tour conique, reproduisant un projet de Tatline dédié à la IIIe Internationale. La tour du décor de Langhoff se présente comme une pente hélicoïdale reposant sur une tournette, au milieu de laquelle se situe une tournette plus petite. Les rotations alternées[...]

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Écrit par

  • : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre

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