LE RING D'AIX-EN-PROVENCE
Créé au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour faire (re)découvrir – avec quel succès – Mozart à la France, le festival d'Aix-en-Provence en a gardé le renom d'une manifestation pratiquement dédiée au seul Salzbourgeois. Chaque directeur a eu beau faire, l'image initiale est demeurée dans l'inconscient collectif, et Stéphane Lissner, nommé à ce poste en 1998, n'y a rien changé. Ayant obtenu une forte augmentation du soutien public, et l'indispensable – et fort réussie – rénovation du théâtre de l'Archevêché, cour miraculeuse au plafond étoilé, l'ambitieux manager devait neuf ans durant mêler ainsi tradition et renouveau dans un répertoire varié, allant de Claudio Monteverdi à Peter Eötvös, confronté à l'ange tutélaire mozartien, si délicat à bien réaliser depuis des décennies déjà. Il aurait pu en rester là, mais son dessein était d'aligner Aix sur Salzbourg, en profitant de l'édification d'une nouvelle salle – le Grand Théâtre de Provence –, occasion d'étoffer le répertoire en l'étendant aux œuvres grandioses des xixe et xxe siècles, quand l'Archevêché, du fait de sa technique et de sa jauge, ne pouvait guère sortir du répertoire des trois premiers siècles de l'opéra. Pour marquer fortement cette inauguration, menée à bien en 2007, quoi de plus marquant qu'une production du Ring ? Wagner à Aix – une première locale inattendue, en fait –, cela fit évènement. C'était dans l'air du temps : Glyndebourne venait d'en faire autant, en 2003, avec un miraculeux Tristan. Le projet s'est-il imposé pour autant comme manifeste artistique ?
Proposé à Simon Rattle et à Stéphane Braunschweig, artisans de l'un des succès majeurs de ce directorat – L'Affaire Makropoulos de Leoš Janáček en 2000 –, et coproduit avec le festival de Pâques de Salzbourg, lui aussi inauguré en 1966 par un Ring historique signé Herbert von Karajan, le Ring d'Aix fut abandonné à sa naissance par son promoteur, désormais en charge de la Scala de Milan. Il ne s'en est pas moins développé comme prévu sur quatre étés, de 2006 à 2009, Bernard Foccroulle, le successeur de Lissner en Aix, assurant avec constance la lourde charge de sa pérennité. Charge non pas du manifeste wagnérien, mais de ses ambitions coûteuses à l'extrême, l'Orchestre philharmonique de Berlin, qui œuvrait dans la fosse, demeurant la phalange hors de prix par excellence, et imposant de ce fait un coût des places jusque-là inconnu en France.
Incontestablement, ce pari onéreux de faire jouer dans la fosse le « meilleur orchestre du monde » s'est avéré gagnant. Les Berlinois et sir Simon ont été l'absolue justification de cette réalisation. Et si la fosse de l'Archevêché, guère propice aux masses sonores, s'avéra pour L'Or du Rhin un handicap pour un orchestre réduit, fatigué au point d'offrir des incertitudes de pupitres inusitées, celle du Grand Théâtre de Provence devait lui permettre de retrouver sa légitime splendeur pour les trois journées suivantes. Avec une tenue musicale exceptionnelle, un raffinement de timbres, de coloris, une variété de discours fascinante, l'orchestre a distillé à plaisir une « micro-orfévrerie » du son proprement inouïe en ce texte. Penchant plus du côté des transparences lumineuses d'un Boulez (mais pas de sa modernité) que de celle des plénitudes surchargées allemandes, préférant les dynamiques du discours baroque au legato « à la Karajan », le chef britannique retrouvait cependant l'esprit « chambriste » de ce dernier, qui avait avancé cette notion pour pallier les déficiences des premiers temps de disette vocale wagnérienne. Plus chambriste encore, attentive au fait que le chant du maître de Bayreuth ne pourrait plus aujourd'hui[...]
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Écrit par
- Pierre FLINOIS : architecte, critique musical
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