Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE ROMAN BOURGEOIS, Antoine Furetière Fiche de lecture

« Ne l'appelez plus roman, et il ne vous choquera point, en qualité de récit d'aventures particulières » (Avertissement de la seconde partie du Roman bourgeois). Antoine Furetière (1619-1688), bon artisan des lettres, académicien depuis 1662 et fameux pour sa virtuosité burlesque, entend bien rompre avec les romans comme L'Astrée pour produire un nouveau fabuleux, fait cette fois d'éléments mêlés, voire disjoints. Son Roman bourgeois, ouvrage comique, qu'il publie en 1666 et qui sera un échec de librairie, semble ainsi poursuivre la veine burlesque de Paul Scarron et de Charles Sorel, puisqu'il s'agit de faire rire à propos de ridicules en abaissant les personnages et les situations. Mais dans le texte de cet artisan qui se présente en véritable « auteur », propriétaire de son ouvrage à bien des titres, on trouve aussi la revendication que le nouveau roman peut être fondé non plus sur la parodie, mais sur l'observation précise des comportements particuliers : « Je vous raconterai sincèrement et avec fidélité plusieurs historiettes ou galanteries arrivées entre des personnes qui ne seront ni héros ni héroïnes, qui ne dresseront point d'armées, ni ne renverseront point de royaumes, mais qui seront de ces bonnes gens de médiocre condition, qui vont tout doucement leur grand chemin, dont les uns seront beaux et les autres laids, les uns sages et les autres sots ; et ceux-ci ont bien la mine de composer le plus grand nombre. »

Un romanesque bourgeois

Puisque la réalité n'est pas linéairement ordonnée, le récit, comptable du monde réel, ne saurait s'organiser linéairement : les deux parties du Roman bourgeois seront a priori autonomes, et se déroulent à Paris. La première partie raconte l'histoire de Javotte – fille de procureur envisageant, sans amour, d'épouser Nicodème, un avocat-marquis –, et de Lucrèce – sotte bourgeoise enceinte des œuvres de Nicodème. Le père de Javotte remplacera Nicodème par l'avocat Bedout, chez qui tout est vieux, mais qui est riche, avant que Javotte ne tombe amoureuse, dans un salon précieux, d'un jeune Pancrace qui lui fait lire L'Astrée. Devant l'obstination de la jeune fille, le père de famille n'aura d'autre solution que d'enfermer sa progéniture dans un couvent, d'où Pancrace l'enlèvera. Quant à Lucrèce, après une période de ferveur religieuse dans le même couvent, elle épousera Bedout, par intérêt bien compris. À partir d'un argument de comédie virant à la tragi-comédie romanesque, Furetière bâtit une intrigue juridico-matrimoniale où tout doit rendre compte de ce qu'est le « médiocre », c'est-à-dire d'abord de ce qui relève de la condition moyenne. Le « particulier » bourgeois – soit le cercle étroit des relations privées – occupe donc le devant de la scène, la dynamique des rapports humains est l'échange, et le centre de toute chose est l'intérêt pécuniaire. Entre deux digressions, la seconde partie du roman narre l'histoire de Charoselles (Charles Sorel en transparence), de Collantine (la plaideuse) et de Belastre, et accroît l'opposition entre le quartier Maubert, univers des procureurs et des avocats vaniteux, et les salons de l'autre rive, où éclate un fabuleux romanesque jusqu'au ridicule.

À partir de ces intrigues distendues, Furetière joue du principe de l'enchâssement. Ce sont des morceaux de réel qu'il ajoute au récit : tableaux de comptes, pièces à conviction, actes notariés, testaments, catalogues de livres, et même la table analytique de 74 chapitres d'un ouvrage examinant les questions « touchant la dédicace des livres ». On parle aussi d'argent et de littérature, on examine les taxes qui pourraient permettre la subsistance des auteurs, on chiffre la beauté et l'esprit produit dans les œuvres. La réalité, qui est[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Autres références

  • FURETIÈRE ANTOINE (1619-1688)

    • Écrit par
    • 372 mots

    Ayant fait d'excellentes études, Furetière, fils d'un clerc d'avoué, entreprit d'abord une carrière d'homme de loi, mais il abandonna bientôt sa charge pour entrer dans les ordres et obtenir des bénéfices qui lui permirent de donner libre cours à sa vocation littéraire. Après trois livres de vers comiques...