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LE ROMAN D'UN TRICHEUR, film de Sacha Guitry

Au fil de la voix

Cette autobiographie d'un personnage de bonne volonté se joue dans le registre de paradoxes faciles et de cynisme indulgent dont Guitry s'amusera toute sa vie ; mais la technique de narration employée aura une grande postérité dans le cinéma français d'auteur. François Truffaut y fait de fréquentes références, dans Jules et Jim (1961), et surtout L'Homme qui aimait les femmes (1977), comme Jean-Luc Godard dans Le Petit Soldat (1961) ; Michel Deville aussi s'y référera souvent, mais très rares sont les films à appliquer ce système narratif tout du long. À l'époque de sa sortie, le film ne fut pas tout de suite remarqué parmi l'abondante production de son auteur, mais il aurait été très apprécié aux États-Unis, et aurait influencé Orson Welles, qui reprit le même principe dans plusieurs séquences de ses films : au début de La Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons, 1942), dans son Don Quichotte (1957-1975), resté inachevé, où le réalisateur prête sa voix à la fois à Quichotte et à Sancho Pança, et surtout dans le faux documentaire Vérités et mensonges (F for Fake, 1971). Mais Guitry est peut-être allé le plus loin dans l'emploi de ce qu'on peut appeler la « parole-texte », c'est-à-dire une parole qui commande entièrement l'enchaînement des images, et prive le montage de toute autonomie.

La voix narrative offre en effet au récit cinématographique la possibilité de se promener librement, comme dans un récit écrit, sur l'axe du temps – présent, passé, imparfait, plus-que-parfait – sans que le spectateur soit perdu. Par exemple, le narrateur, après avoir annoncé le repas fatidique, dit vers le début : « La veille au soir, j'avais volé dix sous », et l'on assiste à la scène du vol, puis l'on retourne au moment où le héros vient de perdre toute sa famille. À un autre moment, le montage s'amuse à faire marcher des soldats monégasques à l'envers, avec le plaisir enfantin et communicatif de maîtriser le temps et de commander à son déroulement. Il faut rappeler que Guitry avait eu en 1914-1915, quand il n'était encore que le fils d'un acteur illustre, l'idée simple et précieuse de prendre une caméra muette d'amateur pour filmer les prestigieuses connaissances de son père : Auguste Renoir, Claude Monet, Auguste Rodin, Sarah Bernhardt, Camille Saint-Saëns... Il en tira un film commenté, Ceux de chez nous (1915), sonorisé par la suite avec sa propre voix, et garda de cette expérience un émerveillement devant le pouvoir de la caméra de ressusciter le passé et de conjurer la fuite du temps, mais aussi de faire parler le passé.

La musique d'Adolphe Borchard soutient ce jeu narratif par son écriture très pointilliste. Par exemple, le compositeur crée un thème en douze notes, pour soutenir certains vers « blancs », sans rime, de douze pieds, que comporte la narration : « Ces végétaux mortels/ c'était le sourd-muet/ qui les avait cueillis. »

La force de Guitry fut aussi de jouer sur un esprit de troupe : on retrouve ici plusieurs de ses acteurs favoris, dont Pauline Carton, Marguerite Moreno, et son épouse d'alors Jacqueline Delubac. Après la Seconde Guerre mondiale, Guitry se fit conteur de l'histoire de France (Si Versailles m'était conté, 1954 ; Si Paris nous était conté, 1956), en usant toujours abondamment de la parole-texte et du charme de sa voix.

— Michel CHION

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Écrit par

  • : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III

Classification

Média

Le Roman d'un tricheur, Guitry - crédits : General Photographic Agency/ Moviepix/ Getty Images

Le Roman d'un tricheur, Guitry

Autres références

  • PARLANT (CINÉMA) - (repères chronologiques)

    • Écrit par
    • 3 201 mots

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