LE ROMAN DE RENART (anonyme) Fiche de lecture
L'art de la parole
La plus évidente caractéristique du Roman de Renartest cependant d'être un texte dans lequel les animaux parlent soit entre eux soit avec des humains dont ils reproduisent, en les caricaturant, les comportements, les occupations, les défauts majeurs. Le dosage entre animalité et humanité varie selon les branches et les auteurs. Renart est à la fois le petit animal au pelage roux (donc rusé, trompeur) et à la gorge blanche (donc capable de jouer les vieillards affaiblis lorsqu'il le faut), et le puissant vassal de Noble le roi, en révolte ouverte contre son seigneur, prétextant, pour échapper à la mort, un vœu de croisade qu'il oubliera aussitôt. Les rapports qui se tissent entre hommes et bêtes sont aussi l'occasion de nombreuses échappées sur la vie quotidienne des paysans : la basse-cour et ses poules restent le terrain d'action favori du goupil. Mais cette mise en contact permet aussi aux auteurs, issus du milieu clérical, de ridiculiser leurs cibles favorites, les « vilains » et les curés de campagne, ou de se livrer, à travers l'image de la cour de Noble, à une satire assez poussée parfois de l'ensemble du corps social. Dès la seconde moitié du xiiie siècle, Renart, assimilé à l'hypocrisie religieuse ou désignant emblématiquement les nouveaux ordres mendiants, deviendra l'un des supports majeurs de la littérature satirique.
Selon Roger Dragonetti, « sauvagerie et maîtrise sont les deux versants de cette parole animale ». Le grand art des conteurs « renardiens » a été en effet d'utiliser l'alibi de la fable animale pour faire rire sans doute, plus sûrement pour mettre à nu les pulsions primaires des hommes, et démasquer sous le couvert transparent des comportements animaux ce que tend à cacher la littérature dite « courtoise ». Il montre enfin comment la maîtrise du langage, telle que l'exerce Renart, sert avant tout à manipuler les pulsions, la violence, le désir de l'autre. Pour se nourrir parfois, ou pour sauver sa peau. Plus souvent, et tel est le scandale du Roman de Renart, pour le pur plaisir d'exhiber son art.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Emmanuèle BAUMGARTNER : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification