LE ROMAN EXPÉRIMENTAL, Émile Zola Fiche de lecture
« Transporter dans le domaine des lettres la rigide méthode du savant »
Le Roman expérimental se situe au point culminant du mouvement naturaliste : après les fondations et les premiers essais de théorisation, avant les révisions des dernières années. Les grandes thèses – rejet de l'illusion idéaliste et des artifices romantiques, retrait du romancier derrière les faits objectivement observés et restitués, dévoilement des déterminismes sociaux (milieu, hérédité)... – y sont reprises et développées, avec cette fois la caution de la science, en l'occurrence la biologie, chargée de fournir à l'écrivain son modèle d'expérimentation.
L'ouvrage n'est pas sans faiblesses. Il souffre d'abord, formellement, de lourdeurs et de répétitions, qui tiennent au contexte de sa rédaction : écrits au coup par coup, sans projet d'ensemble, en réponse aux attaques qui se multipliaient dans la presse, ces articles sont avant tout des textes de combat. Plus profondément, c'est le contenu du propos lui-même qui laisse perplexe : un positivisme scientiste qui peut sembler bien naïf et bien dogmatique. Zola lui-même reconnaissait en 1893 : « Nous n'avons juré que par la science, qui nous enveloppait de toutes parts, nous avons vécu d'elle, en respirant l'air de l'époque. À cette heure, je puis même confesser que, personnellement, j'ai été un sectaire, en essayant de transporter dans le domaine des lettres la rigide méthode du savant. »
Pourtant, les nuances et les précisions ne sont pas absentes, même si le ton polémique général tend à les dissimuler. Loin d'être un témoin scrupuleux mais passif, l'écrivain agit pleinement sur la matière qu'il saisit : « pour montrer le mécanisme des faits, il faut que nous produisions et que nous dirigions les phénomènes ». « L'expression personnelle », qui s'oppose à la rhétorique romantique, consiste précisément à exprimer « avec originalité la nature, en la faisant vivre de sa vie propre ». La réponse aux accusations d'obscénité vient d'ailleurs rappeler que le combat naturaliste fut d'abord un combat stylistique, avec pour enjeu l'irruption dans la littérature d'un langage nouveau.
Mais ce qui frappe le plus à la lecture du Roman expérimental, c'est la foi de l'auteur dans la littérature et dans l'art contemporains, sa certitude de contribuer à l'avènement de temps nouveaux. Le livre est tout entier un éloge de la modernité littéraire qui engage aussi, et plus largement, le rôle de l'artiste et de l'art dans la société. Car le romancier naturaliste, en révélant les mécanismes cachés du réel, travaille non seulement à sa restitution, mais, bien davantage, à sa transformation (Sartre ne dira pas autre chose, quelque soixante ans plus tard, dans Qu'est-ce que la littérature ?). À cet égard, le dernier chapitre est significatif : en appelant de ses vœux une république naturaliste, Zola dévoile l'ambition – littéraire mais aussi morale et politique – qui fut la sienne.
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification
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