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LE ROMAN INACHEVÉ, Louis Aragon Fiche de lecture

« Les mots m’ont pris par la main »

Construite en triptyque, l’œuvre suit l’ordre chronologique : chacun des trois volets, ouvert par un poème liminaire, couvre une période particulière. Le premier concerne sa jeunesse jusqu’à la Première Guerre mondiale (1897-1918). Le poète du « Pont Neuf » « [s]e souvien[t] » de sa jeunesse malheureuse (« La beauté du diable », « Le téméraire »), blâme la société capitaliste fondée sur l’argent (« Une respiration profonde »), la culture de la guerre (« Classe 17 », « La guerre et ce qui s’ensuivit ») en confiant sa détresse (« Parenthèse 56 »). Le second volet (1919-1928) revient sur les désillusions littéraires (les impasses du dadaïsme et du surréalisme) et la nécessité de l’engagement politique (« Les mots m’ont pris par la main ») ; il relate ses errances dans « Le vaste monde » et sa liaison tragique (« Le mot “Amour” ») avec l’écrivaine anarchiste anglaise Nancy Cunard, qui se solda par une tentative de suicide à la mi-septembre 1928 ; le communiste dénonce l’échec de la manifestation pour Sacco et Vanzetti (« Intermède français ») et les trahisons de l’Italie fasciste (« Italia mea »). Enfin, le dernier volet (1928-1956) « chante pour passer le temps » le « Paris » frivole de « Vingt ans après », blâme la guerre d’Espagne (« Les pages lacérées ») ; au contraire, dans « Le prix du printemps », Aragon rend hommage à son ami poète surréaliste « Pierre » (Unik), « évadé du Stalag », « perdu dans les éboulis d’Europe » en « 1945 ». Aux pastiches des « Poésies pour tout oublier » répondent les « Strophes pour se souvenir », adieu déchirant au groupe Manouchian, martyr du fascisme ; Aragon retrouve ses rêves communistes dans « La nuit de Moscou » ; le dernier poème, « Prose du bonheur et d’Elsa », chante dans des strophes célèbres (« Que serais-je sans toi... ») l’amour pour Elsa Triolet, son inspiratrice et compagne, à qui est dédicacé le recueil.

Dans Le Roman inachevé, Louis Aragon s’inspire de la grande tradition lyrique, des chansons des troubadours autant que des poètes rhétoriqueurs, de la terza rima de Dante ou du verset. La polyphonie virtuose des formes et des mètres canalise l’éclatement du « moi », reconstruit le désordre de sa romance intérieure et larecoud à l’épopée du désastre historique. Poète pluriel, Louis Aragon est tout à la fois engagé, héraut de la Résistance, militant communiste, moraliste fustigeant le monde de l’argent et la frivolité humaine, chantre d’un amour mythique. Son écriture musicale récapitule la prosodie lyrique et son propre destin dans l’histoire des apocalypses et des utopies de la première moitié du xxe siècle. Plusieurs des poèmes qui composent le recueil ont été transposés sous forme de chansons, notamment par Léo Ferré et Jean Ferrat.

— Yves LECLAIR

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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Média

Louis Aragon en 1981 - crédits : william karel/ Sygma/ Getty Images

Louis Aragon en 1981

Autres références

  • ARAGON LOUIS (1897-1982)

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    • 4 153 mots
    • 1 média
    ...mort de Staline (1953), le rapport Khrouchtchev et Budapest en 1956, « année terrible », précipiteront bien des désillusions dont l'écho se lit dans le Le Roman inachevé (1956), un recueil de poèmes scrupuleusement autobiographiques où la part accordée au « merveilleux printemps » du surréalisme redevient...