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LE RUBAN BLANC (M. Haneke)

Splendeur du noir et blanc, puissance de l'évocation historique, dénonciation de la violence : trois qualités du Ruban blanc, le dixième long-métrage de Michael Haneke, palme d'or du festival de Cannes 2009. Le cinéaste autrichien, qui avait longtemps pris le parti de choquer par sa manière de peindre la violence – jusqu'au rejet par certains spectateurs de Funny Games (1997) ou de La Pianiste (2001) –, peut sembler assagi. La maîtrise dont il fait preuve à nouveau s'accompagne cette fois d'une retenue narrative et d'un refus des scènes choc. Cela ne signifie pas cependant que la démonstration du film ne soit pas radicale en son sens étymologique : elle tente bien de remonter à la racine du mal.

Les qualités visuelles du Ruban blanc sont le signe le plus évident de cette maîtrise du cinéaste. Celui-ci et son chef-opérateur Christian Berger ont obtenu, par un travail de post-production numérique complétant celui du tournage, un magnifique noir et blanc d'un brillant net qui frappe le spectateur aussi bien dans les scènes d'extérieur très éclairées que dans les scènes nocturnes ou les intérieurs. Cette netteté recherchée réussit à donner une forme vériste à la reconstitution très documentée de la vie de ce village de l'Allemagne du Nord de 1913 et en même temps à la styliser. La narration est elle aussi magistrale. Haneke emploie un procédé, presque passé de mode aujourd'hui dans le cinéma d'auteur, celui de la voix off d'un des personnages principaux, non seulement pour ouvrir le récit mais aussi pour l'accompagner de bout en bout et le clôturer. Mais cette voix qui, à peine le film commencé, raconte le premier des étranges et cruels incidents qui le ponctuent, vient de notre présent : elle est celle d'un personnage vieilli en qui nous découvrirons ensuite le jeune enseignant qui sera le médiateur du spectateur. Le cinéaste sait ensuite jouer de la multiplicité des personnages d'âge et de statut social divers dont son récit livre des bribes d'existence. La direction d'acteurs d'Haneke pour les professionnels, parmi les meilleurs du cinéma de langue allemande (Ulrich Tukur, Ursina Lardi, Burghart Klaussner, Detlev Buck, Susanne Lothar), et pour les garçons et filles non professionnels donne toute sa mesure à l'ambition du récit. Enfin, le cinéaste affirme ses choix en préférant un film qui reste ouvert à l'interprétation du public, auquel il livre des indices sans apporter de solution ni de véritable conclusion : seul le narrateur non omniscient qu'est le professeur connaît le devenir des personnages.

Le découpage donne au Ruban blanc une tonalité particulière en mettant particulièrement en valeur des « plans tableaux » (la moisson, la fête), de longs dialogues peu découpés (entre le médecin et la sage-femme, entre la sœur et son jeune frère) ou des plans à caractère conceptuel (la caméra qui reste dans le couloir tandis que les enfants subissent les verges, et le retour d'Italie de la baronne et de ses enfants durant lequel on voit les personnages entrer puis déserter le cadre fixe).

Au-delà de cette ambition esthétique, la volonté démonstrative de l'œuvre mérite d'être examinée. Le cinéaste nous livre un apologue sur la violence. Celle subie par les enfants, et les adultes aussi, dans cette Allemagne où le rigorisme protestant et l'ordre social dominé par le baron, propriétaire des terres et des moyens de production, crée une autre violence irrationnelle, qui s'exerce dans le secret et le complot. La critique, à partir des déclarations d'Haneke, a vu dans cette dénonciation de l'éducation protestante appuyant l'ordre social une tentative d'explication de l'adhésion des Allemands au nazisme, révolte sauvage et clanique contre l'ordre passé. Le film s'achève par l'annonce de l'assassinat de l'archiduc François-Joseph et une messe qui[...]

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Écrit par

  • : enseignant en cinéma à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle et à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot

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