LE SERMON SUR LA CHUTE DE ROME (J. Ferrari) Fiche de lecture
Jérôme Ferrari, né à Paris en 1968, partagea son enfance et sa jeunesse entre la banlieue parisienne et la Corse où il se rendait régulièrement avec sa famille. L'île de beauté deviendra ainsi le lieu privilégié de ses livres. Lorsqu'on lui décerne le prix Goncourt en 2012 pour Le Sermon sur la chute de Rome (Actes Sud), son sixième roman, il enseigne depuis plusieurs années la philosophie au lycée et prépare son installation temporaire à Abou Dhabi où on l'a chargé d'organiser la formation des maîtres dans les émirats. Le Sermon fait suite, entre autres, à Dans le secret (2007), Balco Atlantico (2008) et Où j'ai laissé mon âme (2010), où se profilaient déjà quelques-uns des personnages, situations et atmosphères du roman : la hantise d'une Histoire fantomatique et obsédante, la conviction du déclin et de l'anéantissement de toute chose, le mélange du tragique et du grotesque qui donnent à sa phrase sa tonalité particulière.
Un huis clos
Une intrigue installée dans un bar corse auquel deux copains voudraient redonner une âme, des souvenirs d'agrégatifs de la Sorbonne à la fin du siècle dernier, l'effondrement des mondes, la sexualité retournée à sa nature de sauvagerie sordide, le tout orchestré par un professeur de philosophie féru de Leibniz et de pensée augustinienne : on pourrait imaginer que le livre se réduise à un mélange bien dosé de polyphonies insulaires et de nuits bleues, de dissertation en trois parties et de roman historique à l'ancienne pimenté d'aventures pseudo-rimbaldiennes. Autant de motifs qui feraient fuir l'amateur de littérature.
Or c'est le contraire qui advient. Pourquoi la critique a-t-elle privilégié, même si Jérôme Ferrari ne les nie pas, les marques de la « corsitude » dans ce roman, en rappelant à l'envi les anciennes amours de l'auteur pour le F.L.N.C. par exemple ? Un bar corse peut être en effet un lieu de rencontre pour des indépendantistes, et celui où Ferrari déroule son récit ne fait pas exception, mais il devient dans le roman l'archétype d'un huis clos où se dit le tragique universel. Le décor chargé d'une histoire familiale compliquée, figée dans l'implicite indéchiffrable de photographies anciennes, n'est que l'équivalent de Thèbes pour Eschyle, de la zone pour Bernard-Marie Koltès ou du Sud profond pour William Faulkner. Pas de pittoresque, pas de sociologie à trois sous de la famille corse, mais des êtres nus, seuls, traversés par des rêves qui se liquéfient, la violence et la passion, en un mot : le renoncement. On assiste alors au naufrage hors du temps des non-dits et du ressentiment qui corrompt les chairs. Le désespoir ou – ce qui est pire – son acceptation, naît de ce renvoi inéluctable aux limbes de l'Histoire, quand ne dérive plus à la surface de la conscience que l'épave des mondes trahis, quand vient la fin et que l'on comprend qu'il n'y avait pas eu de commencement véritable.
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
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