LE SIÈCLE DE LA PRESSE 1830-1939 (C. Charle)
L'histoire retracée par Le Siècle de la presse 1830-1939 (Seuil, Paris, 2004) a la couleur d'une synthèse érudite. Et ce n'est pas là le moindre de ses mérites. Christophe Charle ne s'était pas encore signalé comme spécialiste de l'histoire de la presse française. Mais comment ses précédents travaux sur les élites républicaines (Les Élites de la République 1880-1900, Fayard, Paris, 1987), ses recherches sur Paris (Paris fin de siècle. Culture et politique, Seuil, 1998) ou sur le rôle des intellectuels dans l'affaire Dreyfus (Naissance des « intellectuels » 1880-1900, Minuit, Paris, 1990) n'auraient-ils pas fini par le convier à s'intéresser à ce média de papier si central dans la compréhension de l'histoire politique de la France ?
Fécondé par le croisement de trois approches, celles de l'histoire sociale, culturelle et politique, l'ouvrage a l'apparence d'un récit chronologique. Le tableau débute sur une presse qui a du mal à s'émanciper de la politique à travers le récit de toute une série de cycles de compression et de libéralisation, de la monarchie de Juillet aux débuts de la IIIe République. Au-delà des années 1880, il se poursuit par la description de transformations repérables jusqu'au seuil de la Seconde Guerre mondiale, d'abord au niveau des journaux et des journalistes, puis des revues.
Quelques arrêts sur des temps forts, comme l'affaire Dreyfus ou la Première Guerre mondiale, ou sur des thèmes importants, comme les rapports entre presse et argent, et l'histoire du Petit Parisien constituent des clés pour comprendre ces transformations. Derrière la simplicité de ce récit affleurent pourtant trois autres histoires : la première intéresse la fabrication de notre espace public, la seconde concerne l'évolution des liens entre presse et politique, la dernière se centre sur l'autonomisation des professions journalistiques.
Le Siècle de la presse permet en effet d'esquisser la genèse d'un nouvel espace public. Alors que, sous la Restauration, le lectorat des quotidiens est formé par une élite de 200 000 personnes, cent ans plus tard, en 1910-1914, il y a 292 quotidiens et un tirage cumulé de près de 9 millions d'exemplaires pour un pays qui compte 20 millions d'adultes. Autant dire que le marché est quasi saturé. Derrière cette formidable expansion se lit l'impact, décalé dans le temps, de politiques d'éducation : en 1832, les recensements identifiaient 53 p. 100 d'analphabètes ; moins d'un siècle plus tard François Guizot, Victor Duruy et Jules Ferry ont fabriqué des lectorats élargis.
D'autres progrès socio-techniques comme les premières rotatives impriment leur marque. La circulation de l'information s'accélère, de même que la diffusion nationale des journaux. Les capitaux affluent et les coûts diminuent. Alors que le prix d'abonnement annuel pouvait atteindre 80 francs dans les années 1830 et représenter 421 heures de travail d'un manœuvre de province, le journal devient « un des premiers biens non vitaux à faire accéder la population au régime de la consommation de masse du xxe siècle ».
Cet élargissement du lectorat accompagne l'extension du suffrage, la politisation des masses et la transformation de la démocratie représentative au cœur de laquelle les journaux occupent une place centrale. Les gouvernants du jour cherchent à les contrôler, les nouveaux prétendants s'appuient sur eux pour faire évoluer les rapports de forces à leur avantage. En matière de contrôle, la Restauration fixe des bases qui feront durablement recette (obligation d'enregistrement en préfecture, invention de nouveaux délits, etc.). Après 1877 toutefois, avec le revers des partis conservateurs, nul ne sera plus en mesure « d'enrayer ce qui est devenu un véritable besoin social et[...]
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Écrit par
- Éric PHÉLIPPEAU : maître de conférences en science politique à l'université de Paris-X-Nanterre, membre du Groupe d'analyse politique
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