LE SIÈCLE DES LUMIÈRES, Alejo Carpentier Fiche de lecture
Le Siècle des Lumières est certainement le livre le plus abouti de l'écrivain cubain Alejo Carpentier (1904-1980). On apprend à la fin du roman qu'il a été écrit entre 1956 et 1958, dans différents lieux (la Guadeloupe, la Barbade, le Venezuela). Mais il ne sera publié qu'en 1962, après le triomphe de la révolution castriste, alors que Carpentier occupe des fonctions officielles au sein de l'appareil culturel d'État. Ces repères chronologiques ne sont pas sans signification, si l'on considère que l'espace temporel occupé par le récit couvre les années 1789-1808, et que le livre traite de l'implantation de la Révolution française dans les Caraïbes, avec ses triomphes et ses bégaiements, ses enthousiasmes et ses trahisons. C'est évidemment au présent que pense Carpentier lorsqu'il écrit ce roman « qui embrasse, d'un seul élan, toute l'aire des Caraïbes ».
Une « symphonie caraïbe »
Deux incitations principales nourrissent le livre : l'émerveillement de Carpentier face à la nature antillaise et l'intérêt qu'il porte à un personnage historique, découvert lors d'un séjour à la Guadeloupe, le révolutionnaire Victor Hugues, ancien commerçant en farine de Port-au-Prince. Le Siècle des Lumières a été qualifié par son auteur de « symphonie caraïbe ». De fait, le livre est émaillé de somptueuses descriptions, véritables morceaux d'anthologie, où se conjuguent nature et culture, botanique et peinture, musique et zoologie, histoire et légende. Dans de longues phrases peuplées de métaphores insolites, multipliant les amoncellements baroques d'adjectifs et de substantifs, l'imagination syncrétique de Carpentier donne toute sa mesure dans l'évocation d'un monde caraïbe que Christophe Colomb qualifiait déjà de merveilleux et que les hommes ont sillonné de tout temps, à la recherche du paradis perdu : « Selon la couleur des siècles, le mythe changeait de caractère, répondant à des désirs toujours renouvelés, mais il était toujours le même : il y avait, il devait y avoir, il fallait qu'il y eût dans le temps présent – dans tout temps présent – un Monde Meilleur. » L'esthétisme n'est donc pas la seule justification de ces descriptions d'un milieu naturel enchanteur ; chez Carpentier, l'idéologie n'est jamais loin.
Quant à Victor Hugues, émissaire de Robespierre dans les Antilles et venu libérer la Guadeloupe de l'occupation anglaise, Carpentier a considéré que ce qu'on en savait laissait suffisamment de zones d'ombre pour permettre à son imagination de s'exercer pleinement. Ce qui l'a intéressé dans le personnage, c'est ce qu'il appelle sa « dramatique dichotomie » : il arrive dans les Antilles avec l'imprimerie et un décret abolissant l'esclavage (qu'il rétablira plus tard, lorsqu'il gouvernera la Guyane). Mais se dresse aussi, à la proue de son bateau, une guillotine qu'il a fait monter pendant le voyage. Son long périple se terminera dans le désenchantement et la déchéance, après qu'il aura succombé aux sirènes du pouvoir absolu. L'échec et la dérision sont la réponse de l'Histoire à l'Utopie.
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Écrit par
- Claude FELL : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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